Jésus vient de proclamer les "Béatitudes" ; il prolonge cette invitation à la joie par deux images, à la manière des paraboles : "Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde..." (Matthieu 5, 13-16).
Nous avons sans doute perdu de vue le contexte familier des auditeurs du Christ. Il vient d'appeler des pêcheurs du lac de Tibériade à sa suite, et c'est à leur univers immédiat qu'il fait
référence. Le poisson est meilleur mangé frais, bien évidemment, mais quand la pêche est abondante, il ne faut pas perdre le fruit du travail, et aussi pour faire face aux jours de tempêtes où il
n'est pas question de mettre les barques à l'eau, il faut songer à la conservation du poisson. Or le congélateur n'a pas encore été inventé ! La technique traditionnelle est de saler le poisson
et de le laisser sécher au soleil, au grand air. Ceux qui se souviennent du téléfilm "Entre terre et mer", relatant le travail des terre-neuvas sur les bancs de morues se rappelleront de
ce dur labeur...
Images complémentaires, différentes, l'une secrète, l'autre manifeste. De même que le sel est caché au cœur de la création, dans la mer ou dans le sous sol, la lumière vient du plus haut du ciel,
il en est de même de leur usage. Sauriez vous, à vue d’œil, faire la différence entre du pain sans sel et du pain normal ? où sans son emballage, entre le beurre demi-sel et le beurre doux ? Il
faut le porter à la bouche pour savoir si il a du goût ou s'il est insipide (behr, de la margarine !!!). Travail secret de l'intérieur... Tandis que la lumière, c'est une évidence, ou il
fait jour, ou il fait nuit ! Ainsi en est-il des béatitudes : le cœur pur, le miséricordieux, c'est le secret que l'on découvre en goûtant la présence de celui qui vit l'Evangile de l'intérieur,
tandis que l’artisan de paix, l'assoiffé de justice se feront facilement remarquer par leurs prises de positions à contre courant des agissements de ce monde.
Être sel, être lumière, c'est travailler au cœur de ce monde pour qu'il ne soit pas rongé de l'intérieur, travailler au sein de notre humanité pour qu'elle garde toute sa dignité de créature de
Dieu.
Deux images complémentaires, le sel ne vaut pas pour lui même, la lumière ne vaut pas pour elle même. Le sel pour lui même, où l'abus de sel brûlent les papilles gustatives ; la lumière crue ou
l'abus de luminosité aveuglent l’œil. Le sel vient mettre en valeur une nourriture, la lumière vient valoriser un visage, un tableau, un paysage. "Vous êtes le sel de la terre, la lumière du
monde", nous dit Jésus. Ce qui importe en premier lieu, ce n'est ni le sel, ni la lumière, mais la terre, le monde. Nous n'avons pas à œuvrer pour notre mise en valeur personnelle, mais à la mise
en valeur de la création qui nous est confiée, en premier lieu de tout homme sur cette terre, dans ce monde.
Cette lumière, nous devons l’apporter par nos œuvres bonnes. La lumière de notre foi, en se donnant, ne s’éteint pas, mais se renforce. Elle peut au contraire disparaître, si on ne la nourrit
pas par l’amour et par les œuvres de charité. Ainsi, l’image de la lumière rencontre l’image du sel. Le Seigneur nous dit en effet qu’en tant que disciples du Christ, nous sommes «le sel de la
terre». Le sel est un élément qui, alors qu’il donne de la saveur, préserve les aliments de l’altération et de la corruption – à l’époque de Jésus, il n’y avait pas de réfrigérateur ! Par
conséquent, la mission des chrétiens dans la société est de donner de la «saveur» à la vie par la foi et par l’amour que le Christ nous a donnés, et en même temps de se tenir éloignés les germes
polluants de l’égoïsme, de l’envie, de la médisance et ainsi de suite. Ces germes abîment le tissu de nos communautés, qui doivent au contraire briller comme des lieux d’accueil, de solidarité,
de réconciliation.
(Pape François, Angélus 5 février 2017)
Christian Le Borgne, curé