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"Heureux qui croit sans avoir vu"

 Dans nos églises et chapelles, nous avons de nombreuses représentations de la rencontre du Ressuscité, avec Marie Madeleine d’une part, (cf devinette de la semaine dernière) avec les disciples d’Emmaüs d’autre part (pour dimanche de la semaine prochaine…). Mais nulle part, dans la paroisse, ni même de mémoire du Père Yves Pascal Castel, que j’ai interrogé à ce sujet, de représentation du récit de la rencontre entre Jésus et Thomas. Quel dommage, précisément pour quelqu’un qui ne demandait qu’à voir les preuves tangibles de la Résurrection !

 

Thomas, « l’un des douze » précise l’évangéliste, n’a pas vu le Ressuscité au soir de Pâques. Pourquoi ? « Parce qu’il n’était pas là ! » répondait Michel Scouarnec, non sans humour. Le Ressuscité se donne à rencontrer là où deux ou trois sont réunis en son nom, particulièrement le dimanche, mentionné comme « premier jour de la semaine », et aussi annonce du grand jour de la rencontre définitive, le huitième jour… Notre confinement contraint nous fais ressentir ce manque de l’assemblée dominicale !  Puisse la possibilité de circuler librement raviver en tous le désir de nous retrouver chaque semaine, comme dans la première communauté chrétienne décrite dans les Aces des Apôtres « Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres, et à la communion fraternelle, à la fraction du pain, et aux prières. ». (Ac 2,42)

 

Thomas, donc, n’était pas là ce soir là. Il n’accueille pas le témoignage des disciples qui lui affirment avoir vu le Seigneur. On connaît bien ce refus d’adhérer au dire des autres dans cette réplique, parfois malencontreusement attribuée à un autre Thomas  que « l’un des douze » : « Je ne crois que ce que je vois » ! Cette affirmation lui vaut une répartie du Christ, qui résonne comme une béatitude : « Heureux celui qui croit sans avoir vu ! ». « Voir » ferait il-obstacle à « croire » ? Pourtant, en bien des passages de son évangile, Jean insiste sur le "voir"… Lorsque les premiers disciples demandent au Christ « Maître, où demeures-tu ? », ce dernier leur répond « venez et voyez » (Jn 1, 38-39)… Au pied de la croix, il nous est dit du disciple « Celui qui a vu rend témoignage » (Jn 19, 35) ; du même disciple au matin de Pâques, à la vision du tombeau vide et du linceul roulé à part , il nous est dit : « Il vit et il crut » (Jn 20,8). Pourquoi l’un serait traité d’incrédule et l’autre de témoin crédible ? Sans doute parce que le Christ demande à être contemplé avec le regard de la foi, au-delà de ce qui est visible. Dieu, nul ne l’a jamais vu, mais le Fils nous le révèle. Le Christ est sans cesse à découvrir dans le mystère de sa vie donnée. Que pouvait voir le disciple au pied de la croix, sinon le constat clinique de la mort d’un crucifié, le côté ouvert ? Que pouvait-il voir au matin de Pâques, sinon le vide d’un tombeau sans cadavre ? Là ou il y a le vide, il y a place pour accueillir ; là où les certitudes et les évidences ne peuvent s’imposer, il y a place pour la confiance et même la foi, au-delà de l’espoir, l’espérance.

 

La réaction de Thomas est légitime. Il nous était présenté durant ce carême, lors du récit de la résurrection de Lazare, comme un disciple acceptant résolument de suivre Jésus à Jérusalem, au risque de mourir avec lui (Jn 11, 16). Si le discours sur la résurrection de Jésus fait l’impasse sur sa passion et sa mort, cette résurrection n’est que fable !  Comme le dit le frère François Cassingena-Trevedy, moine de Ligugé, dans l’interview parue dans l’Ouest France du matin de Pâques « On ne peut pas asséner à nos contemporains des « bimbeloteries religieuses ». Il nous faut revenir à davantage de maturité, d’austérité pour viser l’essentiel. La foi véritable, toujours humble, ne nous dispense jamais de notre condition humaine : elle nous renvoie à nos responsabilités. Notre essentiel c’est d’approfondir notre relation à un Dieu qui est caché, qui n’est pas évident. Cela passe par des épreuves terribles qui peuvent ébranler notre foi. (…) ce n’est pas un Dieu miracle qui va tout résoudre d’un coup de baguette magique. C’est un Dieu qui est plutôt dans les malades et les soignants. Dieu n’est là que là où il y a de l’humain véritable. Il n’est pas dans les faux miracles ».

 

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu » nous dit Jésus.  Si nous voulons proposer la foi, ce n’est pas dans des signes extraordinaires que nous serons crédibles, mais dans des gestes, des attitudes, une manière de vivre qui donne à voir au-delà du merveilleux, l’amour, la miséricorde de Dieu. Luc nous fait le récit de la communauté première, « prototype » de toute communauté chrétienne : »

 
Tous les croyants vivaient ensemble,
et ils avaient tout en commun ;
ils vendaient leurs biens et leurs possessions,
et ils en partageaient le produit entre tous
en fonction des besoins de chacun.
Chaque jour, d’un même cœur,
ils fréquentaient assidûment le Temple,
ils rompaient le pain dans les maisons,
ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;
ils louaient Dieu
et avaient la faveur du peuple tout entier.       
(Ac 2, 42-47)


« voilà qui juge une fois pour toutes nos querelles et nos médisances, nos intolérances et nos divisions, nos refus de partager.
Il ne nous est pas interdit, bien sûr, de puiser dans ces beaux portraits des critères de vérification de la qualité de nos propres communautés (familles, équipes, communautés chrétiennes). C’est un peu comme si Luc nous disait : A bon entendeur salut ! »
Marie-Noëlle Thabut 

 

Que ce temps de confinement, jusqu’au 11 mai, peut-être, et pas pour tous, et sous certaines conditions,…, nous dispose à accueillir sans limite et qui que nous soyons d’être des témoins de la Miséricorde de Dieu !

 

Christian Le Borgne, curé

 

 Illustrations : Cloître de Silos - Espagne

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