Me voici, envoie-moi (Isaïe 6,8)
Ce verset du prophète Isaïe nous sert de guide, cette année, dans le cadre de la semaine missionnaire mondiale.
Nous avons du mal à nous défaire d'un héritage, celui des expressions et des illustrations d'Epinal ; "Nos missionnaires", rubrique des feuilles paroissiales et des
bulletins diocésains publiaient les informations rédigées par les "pères", de Saint Jacques, de Langonnet ou des Pères Blancs, des religieuses exerçant leur apostolat qui en
Afrique, qui en Amérique Latine... Cependant, la mission n'est pas un domaine "à part" de l'Eglise, réservé à des spécialistes, comme un ministère des affaires étrangères, mais relève de
notre vocation commune de baptisés. Bien sûr, cette vocation commune des baptisés est sans doute plus manifeste dans l'exercice spécifique de la mission universelle de l'Eglise, par le fait
qu'une église locale donne à une autre l'un des ses serviteurs. Cette vocation spécifique rappelle à tous que Dieu nous appelle, qu'il nous envoie au vaste chantier de la mission.
Je ne vais pas, dans ces quelques lignes, présenter les textes de références, comme "Ad Gentes", ou l'exhortation du Pape François, "La joie de l'Evangile". Simplement, en relisant le passage d'évangile de ce dimanche, je voudrais souligner quelques attitudes qui peuvent encourager ou raviver notre réponse à l'appel de Dieu : "Me voici, envoie-moi"
Dans une de ses paraboles, (Mt
22, 1-14), Jésus parle du Royaume comme d'un roi qui veut célébrer les noces de son fils. Ce roi envoie des messagers auprès des invités : "Venez à la noce". Pour que
l'invitation soit entendue, il faut des messagers ! A l'occasion de leur mariage, les fiancés adressent un "faire part" ; c'est un très joli mot, que j'aime reprendre dans le mot d'accueil,
lors de la célébration du mariage. Faire part, c'est informer, bien sur, mais c'est surtout inviter à prendre part, à partager la joie d'un engagement, à être partie prenante à part entière
dans le projet des nouveaux mariés !
Comme messagers et comme invités, nous somme conviés à prendre part au grand projet de Dieu, qui nous fait part de son amour, en Jésus son Fils. Notre vocation missionnaire trouve là son
origine.
Mais, nous dit la parabole, les messagers ne sont pas reçus par ceux qui étaient les "invités du premier cercle". "L'amour n'est pas aimé", déplore Saint François d'Assise, dans son dialogue avec le sultan Al-Kamil. Il est facile de réduire la parabole à la seule lecture historique du refus du message du Christ par le peuple juif. Ce refus est toujours d'actualité, il suffit de lire sur internet toutes les réactions, y compris de ceux qui se réclament chrétiens, à l'encyclique du pape François, "Fratelli tutti". Je n'en suis pas étonné, voyez ce que j'écrivais la semaine dernière à ce sujet...
Être missionnaire, c'est nécessairement connaître l'indifférence, le refus, voir la violence sous toutes ses formes. C'est également reconnaître que nous mêmes, sommes peut-être des messagers peu disposés à accomplir ce qui nous est demandé ; il y a tant de préoccupations plus urgentes, et nous préférons bien mieux nous donner nos propres missions !
Alors, nous dit la parabole, le roi envoi ses messagers aux carrefours du monde, afin de remplir la salle des noces, de tous les parias rencontrés, les invités de seconde zone... C'est bien ainsi que le peuple juif considérait les habitants des autres nations ; c'est bien ainsi que sont traités dans certains langages les réfugiés qui frappent à notre porte, "la misère du monde" !
C'est souvent avec beaucoup de mépris condescendant, que l'on parlait hier des populations auprès desquelles étaient envoyés nos "bons pères" : les "petits chinois", les "p'tits
noirs"... Il nous fallait porter la vérité et la lumière de l'Occident auprès des peuples marqués par l'ignorance, l'erreur et les ténèbres, n'est-ce pas ? Ce langage dominateur, plein de mépris,
n'est en rien compatible avec le langage de l'Evangile.
"Heureux les invités au repas du Seigneur", disons nous, après la fraction du pain, au cours de l'eucharistie. Cela n'a jamais voulu dire : "heureux sommes nous d'avoir part au
repas eucharistique, ici, aujourd'hui", mais doit résonner comme une invitation à sortir de nos confinements ; bien au delà de nos petites assemblées, c'est la multitude qui est
conviée aux Noces de l'Agneau. Et nous, tel le centurion romain de Capharnaüm, puisque nous reprenons ses propres paroles, nous qui ne sommes pas dignes de recevoir celui que nous nommons
"Seigneur", sommes envoyés aux mendiants de la terre, comme témoins de cette invitation. Ce n'est pas un privilège qui nous revient, à nous, les "ayants droit" !
C'est ainsi que je comprends le dernier épisode de la parabole. Un invité ne porte pas le vêtement de noce, aussi est-il viré comme un malpropre du banquet. Qu'est-ce à dire ? Quel est-il ce vêtement de noce ?
Peut-être le roi disposait d'un vestiaire pour les invités ? J'en ai fait l'expérience, il y a trois ans, au Sénégal. Invité au repas de noce du jeune frère d'un ami prêtre, je n'ai pas eu à me soucier de ma garde robe ; ma tenue était déjà commandée et payée chez le tailleur du village, et surprise, tous les invités proches du marié portaient un tissus identique, selon des coupes différentes, et de même les invités proches de la mariée. Etait-ce ainsi au temps de Jésus ? Je n'en sais rien !
Il nous faut regarder au-delà d'une question de fripes ! Comme le dit justement le Renard au Petit Prince, "il faut s'habiller le cœur". Quand j'étais enfant, on se "changeait" pour aller à la messe, on s'habillait de
la tenue du dimanche ! Cela manifestait une manière de se disposer à vivre autre chose que les activités habituelles.
Bien plus, comme le dit l'apôtre Paul, à sa manière, "Vous avez revêtu le Christ" (Galates 3, 26-28). Le vêtement est bien plus qu'une protection, il
dit une relation sociale et une différentiation. On savait reconnaitre au pardon de Sainte Anne la Palud ou du Folgoët au début du siècle dernier, de quel canton était untel ou
unetelle, au vue de sa "guise", de sa coiffe, mais aussi son patrimoine, au regard de la richesse ou de la pauvreté du velours et des broderies... De même les uniformes militaires disent une
unité dans la mission, mais aussi une différentiation de grades. Et Bien, nous dit St Paul, en Christ, il n'y a plus ni juif ni païen, ni esclave ni homme libre ; dans le baptême, vous avez
revêtu le Christ. La robe du nouveau baptisé est une robe nuptiale, signifiant que le baptisé fait désormais corps avec le Christ, en lui ! Ne pas porter la tenue de noce, n'est ce pas le
signe que l'on n'a pas perçu que l'invitation au repas supposait que l'on "se change", que l'on se convertisse, que l'on revête les dispositions que l'on doit avoir en Christ.
C'est cela aussi être missionnaire. Non pas, de manière concrète revêtir un uniforme, car nous le savons bien, l'habit ne fait pas le moine, mais avec le Christ, revêtir, et le vêtement de fête,
la joie de l'Evangile, et la tenue de service.
Comme le chantent les enfants de la première communions, ces dimanches : "Comme lui, savoir dresser la table, comme lui nouer le tablier..."
Christian Le Borgne, curé