« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton
cœur,
de toute ton âme et de tout ton
esprit.
Voilà le grand, le premier
commandement.
Et le second lui est
semblable :
Tu aimeras ton
prochain comme toi-même."
(Mt 22, 37-39)
La pauvreté du langage nous donne le même verbe "aimer" pour rendre compte de réalités fort complexes et diverses... Aimer son conjoint et ses enfants, aimer le foot ou un bon film, aimer son chien, ou les châtaignes cuites au feu de cheminée (les châtaignes, pas le chien...)
Dans sa lettre encyclique "Deus caritas est - Dieu est amour", le pape Benoit XVI rendait compte de
l'opposition ou au contraire du dialogue à établir entre les divers sens de l'amour, depuis l'amitié jusque l'amour des époux, reprenant les diverses formes du vocabulaire, les réalités qu'elles
évoquent et leurs articulations mutuelles, dans le projet de Dieu. Car d'où nous vient l'aptitude à aimer, sinon de la source de tout amour qu'est Dieu ?
Deux événements dans l'actualité récente nous font quitter les chemins des considérations savantes pour une compréhension plus terre à terre de cette problématique, aimer Dieu et aimer le frère, comme soi même.
- L’assassinat d'un enseignant, au nom du respect du à Dieu, nous dit combien la mauvaise compréhension de ce respect peut générer des actes inqualifiables ; mauvaise compréhension qui génère en réaction une hostilité antireligieuse.
- La lettre encyclique du pape François "Fratelli Tutti", dans la lignée de François d'Assise, rappelle l'exigence de l'amour du frère, dans une problématique universelle. Le Pape ne fait rien d'autre que d'actualiser ce qui est proclamé ce dimanche, du livre de l'Exode :
Ainsi parle le Seigneur :
« Tu n’exploiteras pas
l’immigré, tu ne l’opprimeras pas,
car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays
d’Égypte.
Vous n’accablerez pas la veuve et
l’orphelin.
Si tu les accables et qu’ils crient vers
moi, j’écouterai leur cri."
Comme je le pressentais, et vous en faisais part dans un billet précédent, cette encyclique suscite incompréhensions et réactions vives d'hostilité chez certains "bons chrétiens", tant les analyses et invitations vont à l'encontre d'intérêts égoïstes.
Peut-on mettre sur le même plan les deux invitations, aimer Dieu, et aimer le prochain ? Pour qui ne connait pas, ne vit pas la mystique chrétienne, il y a une différence trop grande pour qu'on puisse l'aborder.
Face à l'homme de la loi, le Christ associe deux versets différents de la Bible, issus de deux livres différents. Aimer Dieu, c'est le "craindre", lui rendre un culte, chercher sa
complaisance... Aimer le prochain, c'est faire oeuvre de solidarité humaine, dans une proximité de clan. Se posera d'ailleurs la question "Qui est mon prochain ?". D'un côté donc, Dieu,
le "Tout Autre", de l'autre, le semblable... la différence est sans commune mesure !
Pour sortir de ce dilemme, aimer Dieu et aimer le prochain, sans opposer l'un à l'autre, considérons la posture du Christ lui même.
Il est tout entier tourné vers le Père. "Le Père et moi nous sommes un ! Nul ne connait le Père sinon le Fils..." Notons que Jésus, lorsqu'il nomme Dieu, parle toujours du "Père", ce qui dit tout de cette relation d'amour et de respect, loin, très loin des notions d'un dieu-père-fouettard ! "Vous qui êtes mauvais, savez donnez de bonnes choses à vos enfants qui vous le demandent, combien plus le Père du ciel sait de quoi vous avez besoin !"
Il est tout entier tourné vers les femmes et les hommes que nous sommes, et plus particulièrement encore des enfants et des personnes en situation de fragilité. A la question "qui est mon prochain ?" il répond par la parabole du Bon Samaritain, de qui te fais tu proche ?
Comment vivre sans opposition l'amour de Dieu et l'amour du prochain, le second en ordre n'étant nullement plus petit, comme le précise Clément d'Alexandrie ? Simplement en les vivant à la
manière du Christ, dans sa posture, tout entier tourné vers le Père et se recevant de lui, tout entier tourné vers les hommes que nous sommes et se donnant à nous. Hors du Christ, comment aimer
vraiment, puisque non seulement il est le modèle parfait, mais la source de tout amour. "Comme le Père m'a aimé, je vous ai aimé ; aimez vous les uns les autres...".
Il y a un "bonus", dans le second commandement : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". A la différence de "Comme" le Père m'a aimé, qui dit l'origine de l'amour, le "comme toi même" indique une égalité, le prochain est
le semblable. Mais ce "Comme toi même" suppose que l'on soit capable de s'aimer soi même ! Là encore, si nous avons du mal à nous regarder avec sympathie, essayons de percevoir le regard que
le Christ pose sur nous, par lui, en lui, le regard que le Père pose sur nous, tel le Père du Fils Prodigue. "Notre coeur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connait toute chose" écrira St Jean. Trop souvent les mouvements de violences à l'encontre des autres proviennent de ce
manque d'estime, de sympathie, de respect pour soi même. Violence à l'encontre de l'autre ou addictions ou automutilation ont alors la même origine. A l'inverse, combien de conversions rendues
possibles parce que la personne se découvre "aimable" dans le regard d'amour, de respect posée sur elle.
"Tu comptes à mes yeux, et moi je t'aime" dit le Seigneur !
Christian Le Borgne, curé