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« les prêtres n’ont pas à compter les fidèles dans le but d’en exclure »

Sur un site dénonçant "l'absurdistant" dans lequel nous vivons, cette juxtaposition d'une cathédrale et de notre chapelle Saint Michel de Brasparts, (commune de Saint Rivoal, rappelons le), illustre bien la situation ubuesque dans laquelle nous sommes, dans quelle situation irréaliste nous mettent les autorités de notre pays.

Elles annoncent aux fidèles que le culte peut être célébré dès samedi et dimanche.  Tandis que l’évangile de ce dimanche nous demande d'être comme des portiers en état de veille pour accueillir le Seigneur à son retour, nous serions de mauvais pasteurs si nous refusions de garder les portes ouvertes ; mais la possibilité de célébrer est restreinte à la jauge de trente personnes, quel que soit le lieu, faisant de nous des "videurs" de boite de nuit, ou sous notre responsabilité, de déléguer cette charge à l'un de nos paroissiens. Mission impossible !

 

Comme le dit Mgr d'Ornellas, archevêque de Rennes, dans un communiqué, « les prêtres n’ont pas à compter les fidèles dans le but d’en exclure ». Ou encore, propos repris par Mgr Dognin, "on ne peut pas demander aux prêtres d’effectuer une discrimination entre les fidèles".  Nous reprenons donc le rythme de nos célébrations, en appliquant les mesures de précaution en usage, à savoir la distanciation, le gel, le masque, la communion exclusivement dans la main, etc...

 

Beaucoup, dans ce débat au sujet des impossibilités de célébrer l'eucharistie, ou selon des conditions restreintes, opposent comme antagonistes la faim de célébrer l'eucharistie d'une part, le service des plus petits, d'autre part, ou encore la nécessité de se ressourcer dans la Parole de Dieu. La période de "diète" ou de jeûne qui nous a été imposée, pour une seconde fois, nous invite à réajuster les pôles de notre vie chrétienne, de notre vie en Eglise.

 

Au coeur de toute célébration eucharistique, il y a cette parole, "faites ceci en mémoire de moi"; cette parole est déjà un accueil de la Parole, faire mémoire du Seigneur, c'est non seulement entendre un bref passage de l'Ecriture, y compris celui du récit eucharistique, comme Paul et les évangélistes nous l'ont transmis : "Je vous rappelle ce que j'ai moi même reçu de la Tradition du Seigneur ; la nuit qu'il fut livré le Seigneur prit du pain...". Faire mémoire c'est se remémorer tout ce qui nous est dit du Seigneur, c'est aussi accueillir aujourd'hui cette parole, l'incarner dans nos actes. Comme nous l'avons entendu dimanche dernier  : "J'ai eu faim, j'étais nu, étranger...". Comme nous le rappellent nos grands calvaires, tel celui de Pleyben, la fraction du pain est indissociable du service du frère, manifesté dans le récit du lavement des pieds. Mais si l'action chrétienne ne se ressource pas dans la vie sacramentelle, elle risque fort de se dévitaliser et de perdre sa raison d'être.

Il est un domaine qui me préoccupe plus que tout autre : proposer la foi, donner à connaître la vie en Jésus Christ. Les deux vagues de confinement successives ont été obstacles à nos propositions de catéchèse auprès des enfants, d'accompagnement des catéchumènes, de rencontre avec les familles dans le cadre de la préparation des sacrements, c'est à dire non seulement de la célébration "des rites", mais par les sacrements, à la vie chrétienne. Le temps de confinement a peut être l'occasion pour quelques uns de développer la prière en famille, particulièrement le dimanche, mais il faut admettre que peu en ont bénéficié, et qu'il y a encore beaucoup de formation à faire en ce sens. "Faites cela en mémoire de moi" nous dit encore Jésus.

Faire mémoire, en langage chrétien, c'est bien plus que de se rappeler les événements passés. Il est important de se rappeler ces événements, car un peuple sans passé est un peuple sans avenir. Faire mémoire c'est d'abord et avant tout, aujourd'hui, être tourné vers l'avenir, non plus "l'avant" mais l'Avent, telle l'aventure de la promesse.  Faire mémoire, c'est articuler la foi,  foi en Celui en qui j'ai mis ma confiance, et l'espérance, l'attente que s'accomplisse sa promesse. Cette tension entre la foi et l'espérance se trame dans la charité, l'amour sans limite, au jour le jour, "plus qu'hier et bien moins que demain"... Le temps de l'Avent, qui nous dispose à célébrer la venue du Christ dans son humanité, est le temps privilégié pour raviver, au coeur de ce temps difficile que nous vivons, l'attente sereine de sa venue, quand s'accomplira alors toute chose. Les lectures de ce temps liturgique, comme ce dimanche, ne nous disent pas autre chose :


"Prenez garde, restez éveillés :

car vous ne savez pas quand ce sera le moment"

"Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque,
à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ.
C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout,
et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ."

 

"Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ?
Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ?
Reviens, à cause de tes serviteurs..."

 

Ce temps de l'Avent nous dispose à attendre "en veillant dans la foi" la venue du Seigneur dans la gloire, comme il est déjà venu en prenant la condition des hommes. Il nous invite à "aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur", disent les prières de la messe.

 

On a dit trente, c'est trente !
Trente jours pour se disposer à accueillir la promesse...  pas seulement un dimanche, ou trois ou quatre, mais trente jours d'attente sereine dans l'écoute de la Parole, la prière, le service du frère, trente jours de vie chrétienne pour accueillir la promesse de Dieu. Bon temps de l'Avent !

 

Christian Le Borgne, curé