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Epiphanie

Adoration des mages - église de Cast

Seuls deux évangélistes ont rédigé les récits de la Nativité, Matthieu et Luc. Nous avons entendu le récit de Luc au cours de la nuit de Noël, à savoir l'annonce faite aux bergers et leur visite à la Crêche ; ce dimanche de l'Epiphanie, nous entendons celui de Matthieu qui nous relate la visite de mages venus de l'Orient, guidés par une étoile.
La chronologie nous permet de comprendre le choix de l'un puis de l'autre récit, pour mieux correspondre au calendrier... Mais il faut surtout prendre en compte que l'un et l'autre évangéliste ont deux approches radicalement différentes, et cependant, complémentaires.

 

Matthieu a rédigé son évangile pour des chrétiens issus essentiellement du monde juif, pétris de la culture biblique et de la ritualité juive. Volontairement, il veut manifester que la venue du Christ est destinée à un cercle bien plus large que celui d'Israël. Les premiers à reconnaître le roi des juifs qui vient de naître sont des païens venus de terres étrangères, pratiquant l'astrologie. L'Epiphanie, c'est à dire la manifestation de Dieu, dès le commencement, est destinée à tous les peuples, à toutes les cultures. 

L'évangéliste Luc s'inscrit dans une autre visée. De culture grecque, s'adressant à des chrétiens pour la plupart étrangers à la tradition juive, il fait oeuvre d'historien. Avant d'être révélée à toutes les nations, la venue du Fils de Dieu au sein de notre humanité s'enracine, naturellement, historiquement et culturellement, dans le berceau de David, et la révélation en est faite en premier lieu, aux bergers de Judée. C'est dans son "second évangile", le livre des Actes des Apôtres, qu'il inscrira l’expansion de l'annonce de l’Évangile à toutes les nations.

 

L'un et l'autre mettent en oeuvre, chacun à sa manière, dans leurs récits, ce que Paul proclame aux chrétiens d'Ephèse :

" toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps,
au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus,
par l’annonce de l’Évangile."

 

Nous chrétiens de l'Ouest, héritiers du christianisme celte, pouvons être "désorientés" par ce récit des mages. Et cependant, l'Orient n'est pas une terre inconnue pour la Bretagne. Non seulement le port du Morbihan qui porte ce nom, en raison de son Comptoir des Indes, mais aussi Brest et sa rue de Siam, ou Quimper, berceau de René Madec, "Nabab des Indes". L'évangélisation de notre Armorique est le fruit de ces chercheurs de Dieu, grands navigateurs, et par la suite, d'autres aventuriers de la foi ont porté la connaissance des évangiles sur tous les continents. Aujourd'hui cela se manifeste par les échanges fréquents entre les églises, et jusque dans le visage de nos assemblées paroissiales, dans la découverte et les respects des différences culturelles légitimes. J'espère que cet été, ce qui n'a pas été possible l'été dernier, le pardon de Sainte Anne sera présidé par Mgr André Gueye, évêque de Thiès au Sénégal, qui partage avec nous le patronage de sainte Anne.

L'aventure de la foi, la quête de Dieu, l'adoration du Christ en esprit et vérité ne sont pas réservées aux seuls grands voyageurs. Etre croyant, comme Abraham, c'est oser quitter ses sécurités. Les mages se sont mis en route. Il y a des erreurs de parcours ; il était pour eux évident qu'un roi naisse dans une capitale, dans un palais, et ils arrivent donc à Jérusalem. Mais une erreur peut être salutaire si elle permet un nouveau départ, si elle permet d'aller plus loin.

Une étoile, puis les hommes du livre qui leur ont indiqué Bethléem ; avertis en songes, ils s'en reviennent par un autre chemin... Cela fait beaucoup de médiations différentes pour vivre la médiation unique, la présence du Fils de Dieu. Il en va de même pour nous, si nous le voulons bien : quelle est notre recherche de cette présence du Christ ? Les scribes de Jérusalem savaient, mais ils n'ont pas bougé d'un pouce, encore moins d'un orteil. Si nous sommes incapables de transmettre la foi, n'est-ce pas parce que nous sommes trop routiniers, habitués à ce que nous savons déjà, à ce que nous faisons depuis toujours, incapables d'accueillir la nouveauté de Dieu qui vient nous visiter ?

La dure épidémie du Covid19 qui aura marqué cette année écoulée, nous aura paralysés dans bien des domaines. Le confinement a généré bien des solitudes. Pour le pape François, à l'image de l'arche de Noé, cela peut être source d'un dynamisme nouveau. Dans son encyclique "Fratelli tutti", il nous invite à ce nouveau départ, ouverture à une fraternité universelle au delà des égoïsmes héréditaires. Comme je vous l'écrivais à la veille du premier confinement, il y a une maladie pire que toutes les pandémies connues, c'est le "coronapetrus", ce mal qui fait de nos cœurs de chair des cœurs de pierre. De nouvelles solidarités sont à inventer, de nouveaux partenariats, et aussi des manières nouvelles de vivre et de témoigner de l'Evangile. Cela demande de la part de chacun de regarder au delà de son petit univers, de son propre intérêt, de ses seules habitudes, pour oser porter le regard sur un signe fragile : une étoile, une parole, un enfant... Alors oui l'aventure est possible, et aussi la vraie prière qui va au delà de soi, l'adoration... 

 

Que cette année nouvelle qui commence nous donne de nous mettre en marche, quêteurs de Dieu, quêteurs d'amour.

 

Bloavez mat, yeched mad, hag ar baradoz fin ar vuhez!

 

Christian Le Borgne, curé