Ce dimanche, l’Église nous invite à prier "pour les vocations". Cela est une bonne chose. N'est-ce pas répondre ainsi à l'invitation pressante adressée par le Christ à ses disciples, "Priez le Maître la moisson qu'il envoie des ouvriers à sa moisson..." (Mt 9,38) ?
Cette invitation mérite quelques remarques :
- Tout d'abord, cette invitation est liée à l'envoi des disciples, "deux par deux". Personne n'est envoyé à son compte, mais envoyé par Dieu lui même, avec charge première de se soucier de la relève.
- Seconde remarque : il n'est pas dit que les ouvriers se présenteront d'eux même, parce qu'ils ont "pressenti" une vocation, mais parce qu'ils sont appelés, et l'appel de Dieu passe toujours par des médiations. Il en est comme de la parabole des ouvriers de la onzième heure, quand le maître de la vigne interpelle les personnes désœuvrées : " Pourquoi êtes vous restées là à ne rien faire ? Parce que personne ne nous a embauchés !".
Nous constatons deux fonctionnements opposés dans la première lecture de ce jour, relative à la "conversion de Paul". Tout d'abord, Saul, plein de zèle dévastateur, va de sa propre initiative réclamer une lettre de mission auprès du grand prêtre, afin d'enchaîner les chrétiens ; le Christ lui apparaît, se révélant comme Jésus qu'il persécute, et, non pas lui donnant mission, mais en le disposant à la mission "on te dira ce que tu dois faire". C'est à Ananie qu'il reviendra de transmettre l'appel de la part de Dieu " Va ! car cet homme est l’instrument que j’ai choisi pour faire parvenir mon nom auprès des nations". Paul, par la suite, saura lui même former et instituer des ministres et collaborateurs, hommes et femmes, dans les diverses communautés qu'il va fonder. (Il est intéressant en cela de relire le chapitre 16 de la lettre aux Romains, et tout le débat qu'il suscite aujourd'hui sur les ministères confiés à des femmes.)
Si la vision du Christ sur le chemin de Damas demeure une expérience personnelle, intime, à l'origine de la conversion de St Paul, c'est par l'intermédiaire de la communauté de Damas, et particulièrement de Ananie, que sera manifestée sa vocation d’apôtre.
- Troisième remarque : ça veut dire quoi "prier pour les vocations" ?
Vous connaissez peut-être la blague d'un curé, victime avec ses paroissiens des inondations. Par trois fois les secours viennent le chercher, mais chaque fois il refuse leur aide. "Mon Dieu
pourvoira à mon salut !". Finalement, emporté par les eaux du fleuve, il se retrouve au Paradis... où il manifeste le plus grand mécontentement "J'ai prié, et tu n'as rien fait pour moi !" et
Dieu de lui répondre "Imbécile, par trois fois tu as refusé l'aide des pompiers que je t'ai envoyés !"
Petite blague, certes, parabole aussi ! Prier, ce n'est pas s'adresser à un dieu magicien, mais comme le précise le Christ à ses disciples, les invitant à la prière, "combien plus le Père
donnera l'Esprit Saint à celui qui le lui demande".
L'Esprit est celui qui nous met au diapason de la volonté de Dieu, celui qui nous donne, avec le Christ, le Bon Pasteur, de "sentir" les besoins, les attentes, et de trouver quelles réponses
apporter.
Prier pour que l'Esprit nous éclaire, et aussi, qu'il nous donne la force et la patience pour mettre en œuvre les chemins qu'il nous indique, appeler les personnes qu'il nous donne de reconnaître
aptes à assumer une mission, qu'il comble de ses dons en vue de la mission.
Prier, non seulement pour que ces personnes acceptent généreusement la mission confiée, mais aussi qu'elles trouvent en nous l'exemple et la confiance nécessaire pour être initiées à la mission.
Les inviter à prier pour demeurer dans cette dynamique de l'Esprit Saint.
N'est-ce pas ainsi qu'aujourd'hui des baptisés acceptent les sollicitations pour être membre d'une équipe pastorale, délégués aux communautés locales, pour être Laïc en Mission
d’Église, voire un chemin de discernement en vue d'un appel éventuel au diaconat... Ce qui est premier, dans tous ces appels, au-delà de la vocation de baptisé propre à
chacun, ce sont les besoins concrets de la Mission, qui révèlent les vocations particulières d'untel ou d'unetelle. Dans chacun de ces appels, quelqu'un, au nom de sa responsabilité,
interpelle une personne pressentie, après avoir pris le temps de consulter, de discerner avec d'autres, afin de préciser le champ de la mission et le choix de la personne sollicitée.
Il est un ministère qui est vital, en Église, c'est le ministère ordonné. Le Christ a appelé des apôtres et les a envoyés en son nom. "Allez, je vous envoie... et moi je suis avec vous, tous
les jours..." Nous entendrons ce passage de l'évangile le jour de l'Ascension, particulièrement au cours de l'ordination épiscopale de Gérard Le Stang comme évêque d'Amiens. Le
ministère ordonné est le sacrement qui manifeste et réalise que c'est le Christ qui est le Pasteur de son Église. Non pas d'abord une mission spécifique pour un temps donné, comme guide de
funérailles, par exemple, et par délégation ; pas seulement la qualification d'un homme à dire la messe ! (et à condition qu'il ne cause pas trop longtemps, ni de sujets dont je
ne veux pas entendre parler !), mais l'empreinte sacramentelle pour toute une vie. Et ce ministère s'exerce dans des missions particulières, successives, elles aussi pour un temps
donné.
Or, si nous les prêtres partageons notre mission avec des laïcs, ce qui est le fonctionnement normal et souhaitable de l’Église, nous sommes confrontés à des appropriations stériles : "C'est
à moi qu'il revient de..." Comment voulez-vous susciter des vocations presbytérales, si on ne laisse plus les prêtres exercer ce pour quoi ils ont été appelés, le ministère de l'unité et du
réconfort, notamment en refusant leur présence lors de célébration des funérailles en situation particulièrement dramatique ?
Il en va ainsi dans bien des domaines, où chacun tire à soi la couverture, parce qu'il se donne "vocation" à ceci ou cela, sans mandat, ou sans tenir compte des orientations données notamment par
l'évêque du diocèse.
Lors de la messe chrismale, durant la Semaine Sainte, Gérard Le Stang nous faisait ses adieux. Dans son allocution, faisant référence à son passé de formateur en séminaires et aussi de curé, il
nous disait ceci : "il est temps de retrouver la juste valeur de ce ministère de prêtre diocésain autrefois juché sur un piédestal…et aujourd’hui trop souvent envoyé au 3°
sous-sol " Il caricature sans doute le tableau, mais ses propos sont révélateurs d'une crise que nous traversons et que nous prêtres, vivons douloureusement.
Nous sommes cependant invités à nous réjouir. Des jeunes continuent à accepter une formation au séminaire, Laurent Daniélou sera ordonné prêtre pour notre diocèse le 20 Juin. Des jeunes répondent
généreusement, et cela se manifeste particulièrement en ce temps pascal, où après avoir célébré les sacrements du matin de Pâques, nous célébrons ce dimanche les confirmations.
Nous sommes invités à prier pour ces jeunes ; prier pour que puissions discerner avec eux, quels sont les attentes de ce monde dans lequel l'Esprit nous envoie ; prier pour que nous puissions,
avec eux, répondre généreusement aux appels du Seigneur.
Christian Le Borgne, curé