Article du journal La croix du 23/09/2021.
Auteur : Nathalie Birchem
La Croix suit les premiers pas en France de Roya Ahmadi, 16 ans, évacuée de Kaboul vers Paris fin août avec son frère et sa belle-sœur. La famille a depuis rejoint un centre de demandeurs d’asile à Montmarault, dans l’Allier.
Ce n’est pas exactement ce qu’elle s’était imaginé. Des prairies vertes, des vaches en pâture, une route en travaux, un village quasi désert, à part les voitures. Roya Ahmadi, jeune Afghane de 16 ans, promène des yeux incrédules sur son nouvel univers. « On ne voit personne dans les rues, où vivent les gens ? », demande-t-elle en anglais, surprise par cette campagne si différente de son pays natal.
Le 10 septembre, Roya, son grand frère Djawid et sa belle-sœur Farida sont arrivés au Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Montmarault, commune rurale de 1 500 habitants au cœur de l’Allier, à 50 km de Moulins et 30 de Montluçon. C’est là qu’ils vont attendre que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) instruise leur demande d’asile.
À Kaboul, « on avait une vie libre »
À la mi-août, ils étaient encore à Kaboul, en plein chaos. Le 15 août, les talibans avaient sidéré le monde entier, en s’emparant de la capitale plus vite que prévu. Dans la famille Ahmadi, c’est le choc. Ils vivent à l’ouest de la ville, dans le quartier hazara. Cette minorité chiite, persécutée par les talibans entre 1996 et 2001, a tout à craindre du nouveau régime. D’autant que chez les Ahmadi, « on avait une vie libre », explique Roya.
Le père donne des conseils en transactions immobilières. Un grand frère a une entreprise de construction, une sœur travaille pour une ONG occidentale au service d’enfants handicapés, une autre, artiste peintre, est en voyage en Suisse. Quant à Djawid, 31 ans, le frère journaliste, il interviewe des artistes afghans sur YouTube.
Chez lui, cet érudit ne possède pas moins de 3 000 livres. Farida, son épouse, qui finissait sa thèse en Iran et se destinait à devenir professeure à l’université, est venue le rejoindre en catastrophe, avant que le pays soit bouclé. Son frère à elle, militaire, est menacé de mort.
Et puis il y a Roya, la benjamine. Des cheveux de jais lisses, des yeux pétillants, légèrement bridés, caractéristiques de la minorité hazara, une peau de pêche et une petite mouche au menton. Une jeune fille bien dans sa peau et ouverte sur le monde.
Roya, 16 ans, Afghane : de Kaboul à l’Allier
Depuis des années, Roya raconte des histoires pour enfants sur une radio de Kaboul. Elle double aussi des films en persan. Et, dans son lycée privé, qui accueille filles et garçons et où les cours sont dispensés en anglais, elle participe à une chorale populaire, Sounds of Afghanistan. Elle fait partie des chanteuses qui, la chevelure pas complètement recouverte par un petit foulard, apparaissent fréquemment sur YouTube. Tout ce que les talibans détestent.
Évacués par l’association française Singa
Alors, quand Shakiba, une amie franco-afghane de Djawid, lui explique qu’elle participe à une cellule d’urgence montée autour de l’association Singa (spécialisée dans l’intégration des personnes réfugiées et migrantes), pour indiquer au gouvernement français des personnalités afghanes en danger, la famille Ahmadi n’hésite pas : Djawid, Farida et Roya doivent tenter leur chance. Roya n’emporte qu’un petit sac à dos noir, avec un pantalon, quelques tee-shirts, une paire de baskets, ses papiers et son portable. Son frère et sa belle-sœur n’ont même pas le temps d’empaqueter ce minimum.
Sur la route de l’aéroport, les talibans ont installé des barrages. La peur au ventre, il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour parvenir à passer en voiture. Les checkpoints franchis, les trois réussissent à rejoindre le groupe de Singa, près de 100 personnes qui attendent devant Abbey Gate, la porte ouest de l’aéroport, au milieu d’une foule immense et paniquée. Pour se faire reconnaître des autorités, elles ont bricolé des drapeaux français avec du tissu, mis des brassards roses et brandi des ballons jaunes.
L’attente, qui a déjà commencé depuis plusieurs jours pour une partie du groupe, dure vingt-quatre heures pour les Ahmadi. À la fin, il leur faut traverser à pied un canal d’eau croupie. « On ne pouvait pas respirer, je me suis évanouie », se souvient Roya. Tout le groupe parvient enfin à monter dans un avion, direction Abu Dhabi puis Paris. Le 25 août, les Ahmadi posent pour la première fois le pied en France. Le lendemain, un attentat-suicide dans l’aéroport fait plus de 180 morts.
« Parfois je voudrais croire que je dors. Comme si c’était juste un cauchemar »
Au Novotel Paris Est, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), où, avec d’autres Afghans exfiltrés, la famille est emmenée pour une quarantaine d’une dizaine de jours, Roya se sent « en sécurité ». Elle ne sait pas encore si le vaccin indien contre le coronavirus qu’elle a reçu à Kaboul sera suffisant.
Entre deux tests antigéniques et des rendez-vous administratifs, elle occupe ses journées en tentant d’apprendre le français dans un petit cahier. Elle traduit aussi les nouvelles de Kaboul qu’elle reçoit par les réseaux sociaux. Elles ne sont pas bonnes. Ici, un chanteur afghan a été exécuté. Là, deux journalistes qui couvraient des manifestations à Kaboul ont été arrêtés et battus. Plus loin, les talibans assaillent la résistance menée dans le Panshir par le fils du commandant Massoud.
Roya s’inquiète pour sa famille. Même s’« ils ne nous disent pas grand-chose au téléphone pour ne pas nous inquiéter ». La jeune femme sait qu’à Kaboul, tout s’est arrêté, plus personne ne travaille. Les universités privées ont rouvert, paraît-il, mais les jeunes filles doivent porter un niqab et sont séparées des garçons par un rideau qui leur cache aussi l’enseignant. La sœur, avec qui elle partageait sa chambre, qui espérait être diplômée cette année, n’a pas pu faire sa rentrée à la fac.
Tout le monde se cache. Y compris sa famille, qui cherche à quitter le pays sans y parvenir. Un pays fantôme. Elle dit : « Parfois je voudrais croire que je dors et qu’à mon réveil, tout cela disparaîtra, comme si ce n’était jamais arrivé. Comme si c’était juste un cauchemar. »
Un long chemin d’intégration
Mais Roya est aussi une jeune femme de 16 ans qui a foi en l’avenir. En persan, roya ne veut-il pas dire rêve ? Elle rêve donc de la France, « pays de culture et des droits de l’homme ». Elle rêve d’aller à l’université, d’y étudier les arts, d’apprendre la guitare, de se faire des amis. Et de parler le français, bien sûr. La quarantaine finie, avec son frère et sa belle-sœur, Roya visite le magnifique cimetière du Père-Lachaise, où reposent « des acteurs et des chanteurs connus ».
Chez Shakiba, les Ahmadi sont invités à un dîner afghan, avec des amis et des artistes. « Ça fait du bien », résume-t-elle simplement. Quelques semaines plus tard, à Montmarault, le moral est en baisse. « J’ai le mal du pays, je me sens très seule, fatiguée. Je suis un peu déçue », confie Roya, presque en s’excusant. La jeune femme qui rêvait d’université et d’activités culturelles dans une grande ville commence à comprendre que le chemin sera long.
Certes, en région parisienne, on lui a laissé entendre que la demande d’asile durerait trois mois. Mais, au Cada, les Ahmadi ont rencontré des familles, arrivées dans d’autres circonstances, qui attendent une réponse depuis un an ou plus. D’autres se voient débouter de leur demande d’asile. La famille a jusqu’au 29 septembre pour déposer son dossier de demande d’asile. Il comprend un « récit de vie », qui doit détailler, en français, tous les arguments qui expliqueront pourquoi ils sont en danger dans leur pays. Une étape cruciale, à franchir avec l’aide d’interprètes et de travailleurs sociaux.
« Il ne faut pas se rater », résume Agathe Farout, la référente des Ahmadi, au sein l’association Forum Réfugiés Cosi, gestionnaire du Cada. Ensuite, la famille devra aller à Fontenay-sous-Bois, en région parisienne, pour être reçue en entretien par l’Ofpra. Puis, il faudra attendre la réponse. « J’essaie de leur expliquer qu’il faut s’inscrire dans le temps long et s’investir dans la vie ici en attendant », reprend Agathe Farout.
Un logement et une allocation de demandeur d’asile
À Montmarault, les Ahmadi sont correctement installés. Ils ont récuré leur appartement dans l’ancien HLM qui abrite le Cada. Roya s’est fait une chambre à elle, dans une sorte de dressing sans fenêtre. Djawid découvre les magasins où on peut acheter de la nourriture pas cher et des épices afghanes. Farida fabrique du pain, Roya l’aide en cuisine. Peut-être auront-ils bientôt des invités ? Il y a une semaine, les Ahmadi ont eu la bonne surprise de voir arriver dans le village la famille de Shakiba, avec qui ils ont été évacués de l’aéroport de Kaboul.
Les demandeurs d’asile ont droit, pendant toute la durée de l’examen de leur dossier, à un logement et à l’allocation de demandeur d’asile. Pour les Ahmadi, ce sera 408 € par mois pour trois. Avec cette somme, il faudra acheter la nourriture – car les dons des Restos du cœur toutes les deux semaines ne couvrent pas tous les besoins –, les vêtements, payer les déplacements et la téléphonie, qui peut revenir cher car il n’y a pas de wi-fi au Cada.
Des bus permettent de se rendre à Moulins, Vichy ou Montluçon. C’est dans cette dernière ville que Roya espère aller au lycée, en classe d’accueil pour allophone. À moins qu’elle ne soit accueillie au collège de Montmarault. Agathe réfléchit déjà à montrer à Roya la scène nationale du Théâtre des Îlets à Montluçon. Voire à la brancher avec la très dynamique chorale Arc-En-Ciel de Clermont-Ferrand.
« Quand je connaîtrai le français, je pourrai vraiment démarrer une nouvelle vie ici »
En attendant, il faut bien s’occuper. Au Cada, le jeudi, il y a sport collectif. Chez une voisine, Roya a récupéré Les Pauvres Gens, un roman de Dostoïevski traduit en persan. Nikan, une dynamique demandeuse d’asile iranienne quadrilingue, a déjà entrepris de lui apprendre un peu de français chaque jour grâce aux livres du Secours catholique, qui donne des cours près de l’église. Une priorité bien comprise par la jeune fille : « Quand je connaîtrai le français, je pourrai vraiment démarrer une nouvelle vie ici. »
Une autre information, surtout, va l’aider à prendre un nouveau départ : « Ma famille a réussi à traverser la frontière !, s’exclame Roya. Ils sont au Pakistan, je ne sais pas exactement où car ils n’ont pas le droit de le dire. Je ne sais pas s’ils vont rester là-bas ou s’ils vont pouvoir aller dans un autre pays. Mais je suis tellement soulagée ! »
Plus de 120 000 Afghans évacués
Au 31 août, 123 000 Afghans avaient été évacués vers différents pays, selon un bilan du Pentagone. À partir du 14 août, un gigantesque pont aérien à partir de l’aéroport de Kaboul était organisé par les Américains et leurs alliés. Le 26 août, l’attentat-suicide revendiqué par le groupe État islamique, avait toutefois fortement perturbé la fin de ces évacuations.
La France a accueilli 2 618 Afghans, soit un peu moins que prévu. Beaucoup sont arrivés en famille. On compte 53 % d’hommes et 47 % de femmes, selon le ministère de l’intérieur, qui précise qu’il y a 957 mineurs parmi ces évacués.
Après une dizaine de jours de quarantaine en région parisienne, les personnes sont envoyées, le temps de l’instruction de leur dossier, en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, majoritairement en province. Une vingtaine de communes sont impliquées dans cet accueil.