"Mieux vaut pour toi
entrer borgne dans le royaume de Dieu
que de t’en aller dans la géhenne
avec tes deux yeux,
là où le ver ne meurt pas
et où le feu ne s’éteint pas. "
Ces paroles très vives, et pour le moins déconcertantes, du Christ, méritent bien quelques explications...
Depuis quelques dimanches, nous entendons dans l'évangile de Marc, les récits de Jésus en marche vers Jérusalem, annonçant les événements de la Passion. Ne comprenant rien à rien, fermés dans leurs perspectives bassement humaines, les disciples cumulent erreur sur erreur ; Pierre veut faire obstacle aux annonces de Jésus, les disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand, et dans le passage de cette semaine, Jean est tout fier de rapporter comment une personne faisant le bien, en a été empêchée par les disciples, parce que n'appartenant pas au groupe..
" il n'est pas des nôtres... " "celui qui n’est pas contre nous est pour nous" répond Jésus, dénonçant cette attitude, cette
logique d'exclusion.
Plus encore, le Christ invite, en réflexion, à aller jusqu'au bout de cette logique sectaire, (le mot sectaire, à la même origine que le mot sécateur !). Si l'un de tes membres t'entraîne
au mal, coupe le ! Heureusement, le Christ parle en parabole, sinon, nous serions tous borgnes, manchots et estropiés de toutes parts ! Ce qui est à souligner, j'aime le rappeler à ceux qui
veulent imposer une lecture fondamentaliste de l'Ecriture, à la manière des Témoins de Jéhovah, c'est que personne n'a mis en pratique cette invitation, fort heureusement !
On a vu des formes barbares de justice, comme de couper la main à un voleur, mais ce que nous demande le Christ, c'est l'automutilation ! Si tu veux faire un travail de purification,
commence d'abord par toi-même !
Comme dans le passage de dimanche dernier, le Christ prend comme repère, le plus petit, l'enfant. "Celui qui accueille un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille !" avons-nous entendu.
Dans le passage de cette semaine, une mise en garde sévère est adressée à celui qui scandaliserait le plus petit...
Celui qui est un scandale, une occasion de
chute, pour un seul de ces petits qui croient en
moi,
mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au
cou une de ces meules que tournent les
ânes,
et qu’on le jette à la mer
Pourquoi cette référence aux petits ? Parce que les disciples demeurent dans une logique de pouvoir, de domination, de primauté. Ils veulent "jouer aux grands", et les grands de ce monde,
lorsqu'ils exercent leur pouvoir, le font toujours au détriment des plus petits, et sont pour eux objet de scandale. En proie à la persécution, ils en viennent à douter de la protection de Dieu,
victimes du mal des grands, ils doutent de la justice et de la miséricorde. Car les grands qui se détournent du Dieu de l'Alliance sont cruels, tel Hérode, massacrant les enfants de Bethléem, et
tels les rois d'Israël, se détournant de Dieu, sacrifiant des enfants aux idoles, au lieu dit Guei
Hinnom, en grec Γέεννα / Géenna, la Géhenne.
Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie
éternelle
que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux
pieds...
là où le ver ne meurt
pas et où le feu ne s’éteint pas.
Lorsque Jésus parle de la géhenne, ce n'est pas à la manière des prédicateurs capucins ou rédemptoristes, du siècle passé, parlant des affres des damnés de l'enfer, propos illustrés à l'aide des tableaux de mission, les taolennous terrifiants. Bien plus ancré dans l'histoire de son peuple, Jésus fait référence à ce qui reste gravé dans la mémoire juive comme étant le lieu de la honte !
C'est une vallée étroite et profonde (chez nous, on dirait un stang), située au sud et au sud-Ouest de Jérusalem. Elle passe à l'ouest de l'actuelle Vieille Ville puis au sud du mont Sion et débouche dans la vallée du Cédron.
La vallée est associée de longue date à des cultes idolâtres, dont l'un inclut la pratique d'infanticides rituels dans le feu. Convertie ensuite en dépotoir dont la pestilence émane à des lieues à la ronde, la Géhenne acquiert dans la littérature juive ultérieure, tant apocalyptique que rabbinique et chrétienne, une dimension métaphorique, devenant un lieu de terribles souffrances, puis de demeure après la mort pour les pécheurs.
Ces deux images restent associées dans les paroles de feu de Jésus ! Plutôt que de faire des faibles, aujourd'hui les migrants, les victimes de ton ambition, de ton rêve de toute puissance, opère les coupes nécessaires, avant que tu ne sois tout entier pris par la gangrène de ton mal !
Christian Le Borgne, curé