Dans ce court extrait de l'album "Super catho", illustré par Florence Cestac, René Pétillon fait écho,à sa manière, d'une situation avérée dans un établissement catholique du Finistère dans les
années 1950... (Super Catho, Dargaud, 2004).
Ce qui est mentionné, de façon pudique, dans ces quelques vignettes, a été l'objet d'un silence complice et coupable, jusque ces dernières années.
Mardi matin, 5 octobre, Monsieur Jean-Marc Sauvé remettra à Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort (président de la Conférence des évêques de France) et Sœur Véronique Margron (présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France) le rapport demandé par ceux-ci, relatifs aux crimes sexuels à l'encontre des mineurs, commis dans l'Eglise catholique en France depuis 1970 , à partir des témoignages des victimes, alors mineurs, toujours en vie.
Depuis trois ans, la Ciase a travaillé dans trois directions : recueillir les témoignages ; tenter de comprendre pourquoi et comment de tels drames ont pu se produire au sein de l’Église et de quelles manières ils ont été traités ; dresser le bilan de l’action de l’Église contre la pédocriminalité depuis 2000 et faire des recommandations pour l’avenir.
Vous trouverez dans la déclaration de notre évêque, la genèse de ce rapport de la CIASE, et les indications de la Conférence des évêques de France.
La CIASE : Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. Le nom lui même n'est plus adapté. En effet, il faudrait bannir du langage l'expression "abus sexuels". Parler d'abus, c'est admettre qu'il y aurait un seuil toléré ; un automobiliste peut être l'objet d'un contrôle d'alcoolémie et d'usage de stupéfiant. On parlera d'abus d'alcool lorsque le seuil légal toléré est dépassé, mais l'on ne parlera jamais d'abus de drogue, car il y a dans ce domaine une tolérance zéro. En ce qui concerne les relations sexuelles avec un mineur, il ne peut y avoir de seuil toléré, c'est la tolérance zéro qui s'impose !
Cet interdit de relation sexuelle à l'égard des mineurs était connu et rappelé dans l'Eglise, comme dans toutes les institutions et familles, mais il y avait un silence officiel quand les situations étaient révélées. L'institution "gérait" en interne le cas des fautifs, mais jamais la parole n'a été donnée aux victimes, jamais une demande de pardon ne leur a été été adressée, jusque ces derniers mois. La parole malheureuse du cardinal Barbarin, "Dieu merci, il y a prescription", est révélatrice à bien des égards de cette attitude ecclésiale, et en retour, de la défiance de l'opinion publique.
Aujourd'hui encore, nous sommes tentés par des attitudes qui ne seraient pas adaptées, et je vous donne écho de quelques tentations relevées par un journaliste de l'hebdomadaire La Vie la semaine dernière (Aymeric Christensen, la Vie du 21 septembre) :
Tentation du devoir accompli : croire qu'il s'agit de la fin d'un processus, alors que ce n'est qu'une étape, certes décisive ; par le passé déjà, nous avons pu croire que ces scandales étaient derrière nous et que quelques normes régleraient le problème.
Tentation du regard historique : parce que bien des témoignages appartiendront au passé, penser que les faits sont d'abord le fruit d'une époque révolue.
Tentation de la paille contre la poutre : relativiser la responsabilité ecclésiale en élargissant aussitôt le regard à d'autres institutions ; à l'inverse, n'y voir qu'un problème catholique, sans considérer les violences systémiques dans tous les domaines de la société.
Tentation de la fierté malvenue : parce que les évêques ont fini par lancer une démarche courageuse, se croire autorisé à faire la leçon aux autres.
Tentation du « plus grand dessein » : invoquer d'autres urgences, sans percevoir que le sujet est malheureusement devenu pour beaucoup un point de blocage et un écran opaque à l'annonce de l'Évangile.
Tentation de la diversion : en profiter pour régler des comptes avec telle personne, telle sensibilité… Ou au contraire, mettre sous le tapis l'examen de personnalités et d'enseignements qui ont pu créer un terrain propice à l'abus.
Une liste certainement pas exhaustive…
C'est avec un malaise certain que nous proclamerons et entendrons dimanche prochain cette parole du Christ "Laissez venir à moi les enfants", comme dimanche dernier la mise en garde "Celui qui est un scandale pour un seul de ces petits..." C'est encore et toujours le petit qui est au cœur des préoccupations du Christ, et c'est devant le petit, le blessé, le fragile, que nous avons et aurons à rendre compte de notre conduite.
C'est aussi sous le regard de Dieu qu'il nous faut avancer, lui qui nous en donne la force.
Je vous propose ces quelques mots adressés par Gérard Le Stang, nouvel évêque d'Amiens, à
ses diocésains, lui qui fut au secrétariat des évêques de France l'une des premières chevilles ouvrières de ce travail de vérité :
"Dieu ne voit-il pas autre chose ? C’est lui qui veut son Église en ce monde et pour ce monde,
qui n’a rien à faire d’une Église qui ne vit pas ce qu’elle annonce. Voilà pourquoi Il lui donne l’Esprit de force et l’entraîne lui-même dans rapides de ce monde. Il ne craint pas qu’elle se
fracasse ; Il lui fait, certes, regretter son manque de souplesse et d’agilité : trop d’aplomb, trop d’inerties, d’aveuglements et parfois d’atroces trahisons. Il lui impose, à grands pas, une
sacrée cure de jouvence. Il la dérouille. Il la rend capable, à sa manière toujours pascale, à coups de morts et de renaissances, d’affronter les défis cruciaux de ce temps. A vues divines, Dieu
fait naître l’Église du III° millénaire."
(Je vous attends, 23 sept 2021)
Christian Le Borgne, curé