J'ai rédigé, voici déjà trois ans, un commentaire de ce récit, selon une lecture biblique.
Vous pourrez retrouver ce commentaire à l'adresse suivante :
Transfiguration, 15 mars
2019
C'est une autre forme de lecture que vous propose aujourd'hui.
Comme dans le récit de la tentation au désert, nous voyons le Christ s'isoler, à l'écart, pour prier. Cette fois, ce n'est plus le lieu de l'épreuve, mais la montagne, traditionnellement lieu de la révélation divine.
La montagne est voisine du ciel ! Nous n'avons pas la naïveté de croire que Dieu soit caché derrière les nuages : les bretons savent bien qu'il ne faut pas confondre le ciel géographique "an
noab", et le lieu de la présence divine, "an neñv" ; de même pour les britanniques, existe toute la différence entre "the sky" et "the heaven". John Lennon du groupe des Beatles,
niant toute idée de Dieu et de religion, chantait : " Imagine, there is no heaven, only sky" (il n'y a pas de paradis, seulement le ciel...).
La montagne, dans toutes les cultures, a toujours été dotée d'un aspect sacré, et notamment dans notre paroisse, où nous avons hérité des sanctuaires sur les sommets : Menez Hom,
Locronan, et bien sûr Saint Michel. La montagne aide à prendre de la hauteur vis à vis du quotidien terre à terre !
Le Christ ne vit pas seul cette rencontre avec le Père, sur la montagne. Il prend avec lui trois disciples, Pierre, Jacques et Jean. Ce trio semble privilégié dans la proximité avec Jésus. Ce sont ces trois disciples qui sont conviés auprès de lui lors de la résurrection de la fille de Naïm, et nous les retrouverons auprès de lui au jardin de Gethsémanie...
Une expérience mystique, telle qu'ils la vivent dans ce récit, demeure toujours quelque chose d'indescriptible... Le langage de la lumière, du feu, de la nuée, demeure toujours un registre littéraire pour évoquer ce que l'on ne peut communiquer. "Nous écrirons en lettre de lumière" chantait Scouarnec...
D'autre part, les disciples n'ont visiblement pas compris à ce moment ce qui se passait ! Luc précise bien qu'ils ne disent rien de ce qu'ils ont vu, Il leur faudra attendre l'annonce de la résurrection du Christ pour en parler.
Comment comprendre ce mutisme ?
C'est comme la photographie !
Aujourd'hui, nous goûtons le plaisir de pouvoir regarder quasi immédiatement une photo que l'on vient de prendre, sur son téléphone, ou d'un simple transfert de carte numérique de l'appareil
photo à l'ordinateur. Il n'en a pas toujours été ainsi ! Les anciens se rappellent autrefois, avant l'an deux mille...
Pour faire des photos, il fallait bien sur un appareil photo, mais également un film, appelé "pellicule". Lorsque l'on avait utilisé la totalité des douze, vingt quatre ou trente six poses, il
fallait prendre soin de rembobiner la totalité du film et le confier au photographe, afin qu'il en assure le "développement". Dans sa "chambre noire", il traitait le film dans un bain pour
en fixer les impressions lumineuses sur la pellicule, pour ensuite en faire un tirage sur papier ou en diapositives. "Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans..."
Ce qui se passait dans la "chambre noire" du photographe, passage indispensable pour "révéler" la prise de vue, est à l'image de ce que vont vivre les disciples dans l'expérience pascale. Ils
ont entrevu le Christ en pleine lumière, "transfiguré", sur la montagne, alors qu'ils s'interrogent à son égard, ne comprenant rien à ses intentions. Il leur faudra connaître la nuit de la
passion et de la mort, puis le bain révélateur du tombeau ouvert au matin de Pâques, pour comprendre, puis témoigner, de ce qu'ils avaient "aperçu" de la personne du Christ.
Il en est ainsi de toute expérience spirituelle forte. Dans une culture de l'immédiateté en toute chose, il nous faut refaire les apprentissages de la maturation, des crises de croissance, des
passages douloureux, tout en gardant en mémoire les premiers jours de la joie et de l'illumination.
C'est également un travail de "relecture", avec l'aide d'un accompagnement, dans un "bain" ecclésial, aidé de l'expérience d'un aîné dans la foi... C'est l'une de nos pauvretés aujourd'hui, que
de fournir en Eglise cet accompagnement, qui aide à "révéler" au delà d'une "première impression" cette présence aimante et lumineuse du Seigneur.
Cette époque quasi révolue des photos papier ou diapositives réclamait un tri, entre les prises réussies et les photos ratées. Elle demandait un travail de classement en album, pour garder en mémoire des moments importants de joie, de loisir, d’événements familiaux ou sociaux. C'est cela aussi l'expérience chrétienne, savoir faire un tri dans les événements de notre vie, y découvrir, avec chaque fois un regard nouveau, les étapes franchies, les événements qui ont de l'importance, et ceux qui sont plus futiles, appelés à disparaître avec l'écume du temps.
Plus encore, c'est reconnaître au cœur du récit de nos vies, la voix du Père :
« Celui-ci est mon Fils,
celui que j’ai choisi :
écoutez-le ! »
Christian Le Borgne, curé