Fresque du monastère de Dečani. XIVème siècle
Plusieurs grilles de lectures peuvent permettre d'entrer dans la compréhension de ce récit, la guérison de dix lépreux, alors que Jésus monte à Jérusalem.
La première, la plus courante, est la description du contexte religieux. Un homme malade de la lèpre est considéré comme maudit de Dieu, impur à tout point de vue, et donc exclu de la communauté juive. Seule l'expertise médicale assurée par le clergé du Temple de Jérusalem permet d'être réintroduit dans la communauté juive. Mais cela ne vaut pas pour un samaritain, qui demeure hérétique, juif de seconde zone, de surcroît devenu adepte du prophète de Galilée, à l'image de la communauté chrétienne de Luc.
On peut également s'interroger en statisticien : n'y aurait-il que dix pour cent de sauvés, même parmi les guéris ?
Je ne peux m'empêcher d'avoir ma lecture de prêtre passionné de liturgie : la supplication des lépreux est celle par laquelle nous nous tournons vers le Christ au début de l'eucharistie "Jésus, maître, prends pitié de nous", dans le texte grec, langue de l'évangile "Kyrie eleison". Mais la véritable conversion est celle de celui "qui revint sur ses pas en glorifiant Dieu".
Bien sur, on peut avoir une lecture moralisante sur la réalité de la lèpre et de toute maladie mettant la personne en situation d'exclusion, comme un pestiféré...
Il y a cette question qui peut nous tarauder : le samaritain serait-il le seul sauvé des dix ? Le récit ne nous le dit pas, mais nous savons que cet homme guérit s'entend dire par Jésus
"Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé". Et les autres ?
Les prêtres de Jérusalem leur diront qu'ils sont considérés comme "guéris" ; ils peuvent à nouveau pratiquer la loi juive. Mais, nous dit St Paul, ce n'est pas la loi mais la foi qui sauve !
Il revient à celui qui entend ce récit de prolonger ce qui est mentionné dans l'Ecriture. C'est à lui, à nous, comme auditeur, qu'il revient de témoigner comment le Christ est Source de
salut pour tout homme qui croit en lui. C'est lui le Christ qui monte à Jérusalem pour être crucifié à l'écart de la ville, et qui par ce geste d'amour nous assure du salut accordé par Dieu son
Père.
Comment ce salut peut-il être annoncé si personne ne le proclame ? Et comment peut-il être proclamé sinon par ceux qui en ont eux-mêmes reçu l'annonce ? "C’est pourquoi je supporte
tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent, eux aussi, le salut qui est dans le Christ Jésus", écrit Saint Paul dans sa seconde lettre à Timothée.
"Hors de l’Eglise, point de salut" ?
Longtemps, cette expression de Saint Cyprien a été comprise comme l'exclusivité offerte aux seuls chrétiens, vivant des sacrements, d'être les seuls bénéficiaires du salut.
Penser ainsi conduit à limiter l'annonce de Paul "le Christ s'est livré en rançon pour tous" (1 Tm 2,6) ; mais, qui, hors de l'Eglise, annonce ce salut en Christ ?
Qui hors de l'Eglise, accueille avec foi ce salut, en rendant grâce ?
Qui hors de l'Eglise, témoigne de l'attention du Christ pour les malades, les parias, les lépreux de notre monde, en son nom ? Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas...
Voilà qui fonde notre mission, notre dynamisme missionnaire, en rendant grâce, dans nos paroles et dans nos gestes, nous témoignons de ce salut que nous avons su accueillir, salut offert à tous.
Christian Le Borgne, curé