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La loi et les prophètes

Chagall - la Traversée de la Mer Rouge
photo C Le Borgne


La loi, qu'est-ce donc la loi ? Chacun aura sa réponse, le député ou l'avocat, qui feront référence au code civil, le scientifique ou le jardinier, qui parleront des lois de la nature, ou le moraliste qui traitera du droit naturel... Elle apparaît comme une donnée qui s'impose et avec laquelle on aime à "tricher", qu'il s'agisse du code de la route et des lois fiscales, plus difficilement avec les lois naturelles...

 

Pour l'homme de la Bible, la Loi peut-être entendue de multiples façons.
Elle est évidemment ce corps d'obligations, d'interdits et de préceptes qui dictent la conduite de chacun, qui gère la vie commune dans un groupe social ou religieux ; or dans le monde biblique comme dans toutes les civilisations, vie sociale et vie religieuse ne font qu'un.


Mais bien plus, pour le peuple de la Bible, la Loi fait essentiellement référence au don fait par Dieu à son peuple, après l'avoir arraché de l'esclavage en Egypte. La loi, avec comme précepte premier "Ecoute Israël", est la Parole adressée par le Seigneur pour guider Israël sur des chemins de vie. "Vois, je mets devant toi le bonheur et le malheur, la mort et la vie ; choisit donc la vie !" (Deuteronome 30). Si les table de la Loi confiées à Moïse sont désespérément perdues, le prophète Ezechiel fait la promesse, au nom du Seigneur, que cette Loi sera inscrite dans les coeurs, don de l'esprit. (Ez 36-24-28).


Ainsi la Loi n'est pas seulement un ensemble de codes et de règles, elle est ce qui découle de ce précepte "Ecoute Israël". Aussi le psalmiste peut chanter sa joie, non parce qu'il est amoureux du domaine législatif, si si, ça existe, mais parce qu'il est assoiffé de cette Parole du Seigneur :

(Psaume 118/119)
"09 Comment, jeune, garder pur son chemin ? En observant ta parole.

10 De tout mon coeur, je te cherche ; garde-moi de fuir tes volontés.

11 Dans mon coeur, je conserve tes promesses pour ne pas faillir envers toi.

12 Toi, Seigneur, tu es béni : apprends-moi tes commandements.

13 Je fais repasser sur mes lèvres chaque décision de ta bouche.

14 Je trouve dans la voie de tes exigences plus de joie que dans toutes les richesses.

15 Je veux méditer sur tes préceptes et contempler tes voies.

16 Je trouve en tes commandements mon plaisir, je n'oublie pas ta parole.

 

Hélas, il est un autre rapport à la Loi dans le monde juif. Une élite religieuse, le clan des pharisiens, prétend respecter scrupuleusement la loi et les préceptes jusque dans les détails les plus rigoureux ou insignifiants, relevant pour nous davantage des lois de l'hygiène, par exemple, (on se lave les mains avant de passer à table), que de conseils prophétiques. En raison de cette discipline rigoureuse, les pharisiens se croient supérieurs aux autres, et les méprisent. L'écoute attentive de la Loi n'est plus d'abord et avant tout la quête mystique, mais un "challenge" réservé aux plus "méritants". On comprends aisément les conflits entre Jésus et ce groupe de religieux qui oublie les préceptes premiers et fondamentaux de la Loi, tels que nous l'entendons ce dimanche dans le livre de l'Exode :

Ainsi parle le Seigneur :
    « Tu n’exploiteras pas l’immigré,
tu ne l’opprimeras pas,
car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte.
    Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin.
    Si tu les accables et qu’ils crient vers moi,
j’écouterai leur cri. [...]
  S’il crie vers moi, je l’écouterai,
car moi, je suis compatissant ! »

 

C'est dans cet esprit d'adversité, de controverse, en donneurs de leçons, que les pharisiens choisissent un "porte parole" pour piéger Jésus. La question piège étant de savoir quel est le "grand commandement", c'est à dire le commandement suprême d'où découle tous les préceptes, les conduites à tenir.

Dans un arsenal juridique et pointilleux, il y aurait de quoi se prendre les pieds dans le tapis. Eux mêmes s'enferment régulièrement dans des querelles rabbiniques, mais dans un esprit purement légaliste du permis et du défendu. Un humoriste comme Johann Sfar, dans ses albums "Le chat du rabbin", nous en donne agréablement écho.

 

Jésus les désarçonne dans sa réponse. Un précepte suprême commande à tous les autres, et un second, qui en découle, lui est égal : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ; tu aimeras ton prochain comme toi même." 

Le Christ n'invente pas, il reprend des commandements déjà présents dans l'Ecriture. Dans sa réponse, il hiérarchise, il leur donne une priorité à partir de laquelle tous les autres préceptes sont vérifiés. Aimer est le critère absolu, aimer Dieu, en premier lieu, puisqu'il s'agit d'une reconnaissance de son amour pour nous, de son désir de susciter en nous la vie, et donc, ce qui en découle, aimer son prochain ainsi que, ou tout autant que soi. Nous ne sommes plus dans le juridisme, mais dans le coeur de la foi, indissociable de la charité.

 

Plus que jamais, dans ce contexte de violence internationale que nous connaissons, drapée d'invocations religieuses, nous avons à réentendre ce double appel à l'amour.
Je vous citais la semaine dernière Mgr Leborgne, évêque d'Arras, dans son homélie, à l'occasion des funérailles de Mr Dominique Bernard, enseignant assassiné. Voici encore dans son homélie ce qu'il dit de l'amour, tel qu'il est annoncé par St Paul :
L'amour n’est pas d’abord une réalité affective, sensible ou romantique. L’amour est une détermination de la liberté qui s’engage pour le bien de l’autre, jusqu’au bien de tous et de la cité. À ce titre, il refuse toute complicité avec le mal. La justice qui permet de faire la vérité en est une composante indispensable. 

 Chez nous, en Bretagne, nous avons une figure familière de la loi, en la personne de Saint Yves. La loi est toujours au service de la justice, elle est chemin de conciliation, non de pouvoir ni de domination. Vivre la loi de l'amour, c'est œuvrer et témoigner de la volonté de Dieu, et c'est là le chemin privilégier pour l'aimer en vérité.

 

Christian Le Borgne, curé