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Homme et femme Il les créa

Je ne vous ferais pas la mauvaise blague de la répartie du regretté Michel Blanc, "Sur un malentendu, ça peut marcher..." Le sujet demande plus de sérieux !

 

Le récit, ou plutôt les deux récits de la création de l'homme dans la Genèse sont, pour beaucoup, source de malentendu.

 

Malentendu, pour les esprits rationalistes, qui réfutent ces récits comme contraire à la science... L'humanité n'a pas pour origine un couple mythique, Adam et Eve, Darwin nous l'a bien démontré, et ces récits seraient sans fondement !

 

Malentendu, dans la compréhension d'un rapport de dépendance et de soumission entre l'homme et la femme, la femme étant crée comme "une aide" à l'homme, d’où découlerai, selon certains, l'enseignement de Paul "Femmes, soyez soumises à votre mari"...

 

Malentendu, dans la lecture même du récit, et de sa traduction, de son usage ou le terme "femme" (Eve) exprime la réalité de la moitié féminine, de l'humanité, quand le mot "homme" qualifie autant le masculin (Adam), que l'ensemble de l'humanité, hommes et femmes, différenciés ainsi des animaux...

Malentendu, encore, quand sur un passage de la Bible, on projette une lecture alimentée par des idéologies les plus contradictoires, voulant faire dire à un texte, et donc à la Parole divine, nos propres aspirations les plus diverses.

 

Lorsque je lis ou écoute une fable de La Fontaine, je ne me pose pas la question de savoir si le fabuliste a été témoin d'un dialogue entre un corbeau et au renard convoitant son camembert ! La situation par elle même est irréaliste... Je ne me pose pas plus la question de savoir si Antoine de Saint Exupéry, en panne d'avion dans le désert, a réellement rencontré un Petit Prince lui demandant de lui dessiner un mouton...De même, la Bible est un recueil de récits différents dans leur styles et leurs genres littéraires, livres prophétiques ou de Sagesse, mais ne demandons pas à un récit "des commencements" (Genèse), l'exigence que nous attendons de récits scientifiques ou historiques, tels que nous comprenons le terme aujourd'hui.
Selon les récits païens, les dieux auraient créé les hommes, afin que ceux-ci les nourrissent, en rapport de dépendance réciproque. La Bible, reprenant la forme littéraire de ces récits, s'en démarque en présentant Dieu comme Créateur de l'humanité, homme et femme, à son image, pour être reconnu comme Dieu et Père, qui ne doit en rien son existence ou sa survie aux humains. Il se manifeste comme Créateur en confiant sa Création.

 

La traduction est un exercice difficile, surtout lorsque l'on traduit un texte très ancien, ou un mot peut revêtir des significations multiples. Lorsque le récit hébraîque dit "retiré de l'homme", le terme "homme", dans cette expression (le adam = le terreux / tiré de l'humus), à entendre comme "l'humain", n'est pas le même que celui qui qualifie l'être masculin (Ish) s'émerveillant devant l'être féminin (Issha). C'est à dire que l'humanité ne trouve son accomplissement que dans la différenciation et la communion de la complémentarité, homme et femme, créés à l'image et à la ressemblance de Dieu. C'est le même processus de séparation qui font que l'homme ne vivra la véritable rencontre avec son épouse qu'en se séparant du couple qui lui a donné naissance.

 

De même que ce récit de la Genèse évoque une naissance de l'humanité dans sa complémentarité homme et femme, l'ensemble des récits de la Bible témoigne d'une évolution progressive dans la Révélation. Le rapport homme femme, objet de tant de controverses et de récriminations souvent justifiées, ne trouvent pas dans la Bible sa justification, mais plutôt l'écho des mentalités et des cultures. La lecture des textes restera trop marquée par une interprétation réservée aux hommes. L'attitude de Jésus viendra bouleverser les habitudes, tant ses rapports libres et respectueux vis à vis  femmes vont à l'encontre des usages établis.
Les toutes premières communautés chrétiennes se démarquent des usages de la communauté juive ou de l'empire romain; seuls les hommes se rassemblent à la synagogue, tandis que les communautés chrétiennes accueillent aussi bien les femmes que les hommes dans le baptême et le repas eucharistique.

Des exégètes viennent de publier récemment des analyses portant sur les rédactions des lettres de Paul et du livre des Actes des Apôtres. Il apparaît que dans les toutes premiers communautés chrétiennes, des femmes exerçaient de véritables ministères, notamment d'enseignement. Mais pour être reconnues publiquement comme "honorables", ces communautés calqueront par la suite leur organisation sur le modèle patriarcal de la culture ambiante. Ainsi nous avons à la fois un enseignement fondamental, "Il n'y a plus l'homme et la femme, l'esclave et l'homme libre, tous vous êtes membres les uns des autres et faites un même corps en Christ", et des recommandations marquées par les circonstances, "femmes soyez soumises à votre mari, et vous les esclaves obéissez à votre maître". Reconnaissons que ce dernier verset ne nous permet pas de reconnaître comme légitime l'esclavage, pas plus qu'une soumission aveugle de la femme vis à vis de l'homme. Si l'annonce et l'accueil de l'Evangile ont permis peu à peu une abolition de l'esclavage, il permettra également une valorisation de la femme au sein de la société patriarcale.

Ceux qui reprochent à l'Eglise sa lenteur n'oublieront pas que la France, pays des droits de l'homme, n'a accordé le droit de vote aux femmes qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale.

 

Dans le synode qui se déroule actuellement à Rome, une nouveauté a été introduite. Non seulement des femmes y sont présentes comme expertes et intervenantes, mais également comme électrices. Certes, la parité n'y est pas, mais c'est un premier pas !

 

L'Evangile de ce dimanche nous présente le Christ en prise en controverse avec les pharisiens, au sujet de la répudiation des épouses par leur mari. La réponse du Christ est sans équivoque : face aux comportements des hommes, au coeur endurci, les hommes rédigent des lois; mais au delà des lois humaines, quel est le projet de Dieu ? Quand la Bible écrit "au commencement Dieu dit", qu'est-ce qui nous est dit d'une création encore à accueillir ?

 

 

Christian Le Borgne, curé