La Parole de Dieu est à plusieurs reprises mentionnée dans les textes du Nouveau Testament comme un glaive acéré.
Comme l'illustre cette peinture de l'artiste Arcabas :
"De sa bouche sortait un glaive affilé" selon la vision de l'Apocalypse (19:15), "L'épée de l'Esprit qui est la Parole de Dieu", selon Paul aux Ephésiens (6,17), et dans la lettre aux Hébreux que nous entendons ce dimanche, "la Parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants" (He 4, 12-13).
Dans notre fond de légendes celtes, le roi Arthur est reconnu légitime lorsqu'il se saisit de l'épée mythique "Excalibur"... Le Christ n'est ni Arthur ni Excalibur, il est tout à la fois, et le Roi, et la Parole, Parole plus redoutable qu'Excalibur pour pourfendre le mensonge et sonder les entrailles.
Comprenons bien ce que nous entendons par "Parole de Dieu" !
Au cours de la liturgie, quand le diacre ou le prêtre, après avoir proclamé l'Evangile, s'adresse à l'assemblée, dans ces termes : "Acclamons la Parole de Dieu", l'assemblée répond "Louange à toi, Seigneur Jésus". Celui qui proclame le passage, élève le lectionnaire ou l'évangéliaire, mais ce n'est pas un livre, un texte imprimé que nous acclamons. Nous manifestons que dans la proclamation d'un passage de l'Ecriture, qualifiée et authentifiée par l'ordination du lecteur, dans le cadre de la liturgie d'une Eglise assemblée, c'est le Christ qui, aujourd'hui, nous parle, nous interpelle.
Cette écoute est bien plus que la satisfaction d'un désir de connaissance par la lecture suivi d'un récit, aussi noble que puisse être ce désir ; elle est l'accueil, dans la tradition de l'Eglise, du témoignage de foi de ceux qui ont vu et entendu le Seigneur, de ceux qui, au sein d'une communauté croyante, sous la conduite de l'Esprit Saint, ont collecté leur témoignage et mis par écrit, afin que nous aussi nous en soyons les auditeurs, et devenions croyants. Aucun autre écrit, même prétendument inspiré, ne saurait être considéré comme "Parole de Dieu".
Mais il ne suffit pas d'entendre proclamer cette Parole de l'Evangile ou de la Bible, pour être croyant, disciple du Christ. Il ne suffit pas d'entendre l'homélie, même la plus savante, la plus
pieuse, la plus pertinente, si cette parole ne nous touche pas dans notre vie, dans ce que le Seigneur attend de nous !
Dans le passage d'Evangile de ce dimanche, le Christ répond un peu sèchement à l'homme qui l'interpelle ; que faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? Le Christ le ramène à la Loi, et
rappelons nous que dans l'univers biblique, la loi ne se réduit pas aux préceptes, obligations et interdits. La loi, l'Ecriture, les exigences des prophètes, c'est tout un ! Et l'homme de
répondre, "tout cela je le connais depuis mon enfance" ! Alors, comme une épée tranchante, le Christ le rejoint dans ce qu'il a de plus intime, ses richesses qui sont pour lui un obstacle pour
accueillir la gratuité de Dieu, la compassion pour ses frères les plus pauvres... "Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu'une épée à deux tranchants".
Suite aux divisions survenues dans l'Eglise, au moment du schisme avec Luther ou Calvin, l'Eglise Catholique s'est méfiée d'une lecture pour tous de la Bible. La crainte était que l'Ecriture
deviennent l'objet d'interprétations et d'enseignements les plus déviants, ce que l'on voit aujourd'hui fleurir autour de groupes qui relèvent de sectes.
Au moment de la réforme liturgique, avant et pendant le Concile Vatican II, se développait la prise de conscience qu'il fallait "ouvrir en grand le Trésor de la Parole de Dieu" pour tous
les baptisés, des pressions de la part des tenants d'une lecture de la Bible réservée au clergé dument instruit, s'opposaient à une prétendue "protestantisation" de l'Eglise !
A défaut de l'Evangile, le Peuple de Dieu avait le droit à des récits lénifiants pieux et moralisateurs, et les enfants, à de beaux récits "La Bible, la plus belle histoire de tous les temps". A
cela viendront se rajouter des pseudos révélations nous racontant dans le détail des récits de l'enfance de Jésus ou de sa passion, pieux mais totalement étrangers à la pertinence même de
l'Evangile, de sa révélation. Si la Parole de Dieu est tranchante comme un glaive, ces récits sont bien émoussés... De surcroît, à la différence d'un coupe papier, fort utile quand les pages nous
parviennent encore "fermées", et difficiles d'accès ils dispensent de l'ouverture fastidieuse d'un véritable évangile. Gardons nous de nous fourvoyer en quête de ces ersatz d'Evangile.
"Tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes " !
Nous sommes invités, convoqués même, à accueillir la Parole de Dieu. Mais comme cela est manifesté au cours de la liturgie, invités à l'accueillir dans la prière, dans la lecture croyante, et
aussi dans l'écoute fraternelle, en Eglise.
Ce qui existe déjà dans bon nombre de mouvements, nous sommes invités à le développer au sein de ".petites fraternités chrétiennes locales". Ce qui était une orientation diocésaine en 2012 est
remis aujourd'hui au premier plan des désirs de notre évêque, et nous avons cherché à l'impulser au cours du carême de cette année. Nous venons de recevoir des documents permettant la mise en
route de ces équipes : à vous d'en prendre réception !
"[...] la prière doit aller de pair avec la lecture de la Sainte Écriture, pour que s’établisse un
dialogue entre Dieu et l’homme, car « nous lui parlons quand nous prions, mais nous l’écoutons quand nous lisons les oracles divins ."
(Dei Verbum 25, Concile Vatican II)
Christian Le Borgne, curé