La réalité de la souffrance demeure une énigme, une pierre d'achoppement dans la foi, quelle que soit sa forme, physique, psychologique ou spirituelle. "Comment croire en Dieu quand on voit tant
de souffrance dans notre monde ?" est une question qui nous est bien souvent formulée... "Comment dire Dieu après Auschwitz ?"
Bien que la Bible tâtonne pour tenter de rendre compte de cette réalité insupportable, "poison insidieux qui nous ronge", elle avoue son incompétence à rendre compte du non-sens de la souffrance,
le livre de Job est l'un des plus révélateur à ce sujet.
Cependant, cette réalité de la souffrance, qu'elle que soit son origine, n'est pas habilement contournée, le scandale de sa réalité n'est pas nié. Au mal qui frappe notre corps en raison de la
santé et de la fragilité de notre existence, ou au mal que l'homme dans sa cruauté fait subir à son prochain, l'Ecriture nous donne à comprendre que jamais Dieu ne se complait à nous voir
souffrir.
Dans la révélation que Dieu donne de lui même à Moïse, dans l'épisode du Buisson Ardent, "J'ai vu la misère de mon peuple, j'ai entendu ses cris sous les coups des chefs de corvée",
jusque la révélation ultime et définitive en Jésus le Christ, attentif aux personnes en situation de détresse, guérissant, consolant, le Dieu d'amour que nous confessons n'accepte pas la victoire
de la souffrance sur ses enfants.
Quand Jésus rencontre un aveugle, un paralysé, il les relève, les guéri et les rend à leur communauté.
Nous entendrons ce dimanche le témoignage de Sœur Bernadette Moriau, dernière miraculée de Lourdes. Les guérisons suscitées par la foi, tels les miracles de l'Evangile, manifestent que Dieu ne se complait pas dans la souffrance des hommes. Alors, dans nos ténèbres, il nous laisse percevoir des étoiles de courage et d'espérance.
Cependant le mal demeure, même combattue, la souffrance persiste. Comment vivre avec ? La première chose à faire est de ne jamais s'y complaire, ce n'est jamais l'attitude du Christ. Se tourner vers autrui, autant que cela est possible, se battre, y compris avec les souffrances des autres, est sûrement la première des attitudes spirituelles, en union avec le Christ. Je suis admiratif de ces parents qui, marqués par la maladie, le handicap ou le deuil d'un enfant, trouvent l'énergie de se mobiliser en association avec d'autres parents dans la même situation, en réseau de prévention, de recherche ou d'entraide, comme l'association Céline et Stéphane Leucémie 29.
Nous avons entendu, et nous entendons encore un langage chrétien qui parle de "souffrance rédemptrice"... Il y aurait comme une idolâtrie de la souffrance, spiritualité déviante qui a pour nom le
dolorisme, est-ce la le message chrétien ?
Certaines expressions sont dangereuses si on ne sait pas les "déplier", les expliquer. C'est la vie donnée, c'est l'amour qui est source de salut. De part et d'autre de la croix étaient crucifiés
deux compagnons de souffrance : l'un des malfaiteurs demeure dans la révolte et les rêts du mal ; pour l'autre, c'est son cri de foi "Seigneur, ai pitié de moi" qui lui vaut le salut, et
non pas les tortures subies.
Il est un langage du "mérite" et de la "satisfaction" qui prête à Dieu le visage d'un tyran qui ne connaît de justice que par le pal, l’écartèlement et la mort, que personnellement je ne puis entendre. Je ne supporte pas plus les expressions adressées aux enfants « Le Bon Dieu t’a puni » que les avis de décès ainsi rédigés « Il a plu à Dieu de rappeler à lui », quand le défunt n’a pas rassasié son nombre raisonnable de printemps…
L'Apôtre Thomas a raison, quand voulant toucher de ses doigts les plaies du Crucifié, il affirme la réalité intangible de la croix, obstacle à la foi. Jésus Ressuscité vient le prendre au creux de son attente pour le conduire au delà, au travers de ce scandale du mal et de la mort, dans cet au-delà du mal qu'aucun œil n'a encore pu percevoir. Quand Job, dans sa souffrance crie "Moi de mes yeux, je verrais mon rédempteur", Jésus dit à Thomas "Heureux ceux qui croient sans avoir vu".
Le baptême annoncé aux disciples, c'est à dire le martyre, n'est pas une souffrance recherchée ni souhaitée, mais par anticipation, acceptée, parce qu'elle est l'obstacle à franchir pour annoncer l'Evangile. Il y aura nécessairement incompréhension, divisions, séparations. Vous aurez à porter cela comme une Croix, non pour subir la violence, mais pour annoncer sa défaite, la fin de son pouvoir d'oppression. L'engagement pour l'Evangile rend parfois très heureux, mais parfois il fait souffrir. Ce n'est pas la souffrance qui rend heureux, c'est d'être engagé pour l'Evangile. Ce n'est pas la souffrance qui nous vaut le salut, c'est la victoire de l'amour.
Christian Le Borgne, curé