Qu'appelle t'on "Piété populaire" ? Un directoire, c'est à dire un document normatif, établissant le lien entre la liturgie et les formes publiques ou privées de dévotion, publié en 2001, répond à cette question.
D'un côté, la liturgie, c'est-à-dire l'ensemble des actes de culte bien définis, célébrations sacramentelles ou offices liturgiques, aux déroulements bien codifiés par un rituel de l'Eglise.
De l'autre, les exercices de piété, comme les prières quotidiennes ou le rosaire, les dévotions, comme la visite au Saint Sacrement, la piété populaire, comme les processions, ou la religiosité populaire, cette expression de la reconnaissance d'une réalité divine, sans qu'il y ait nécessairement adhésion à une forme définie de confession religieuse. Nous verrons ainsi cet été des personnes participer à la Troménie, non seulement en "touristes" mais avec un fort sentiment de religiosité, sans adhérer pour autant, ni à la foi catholique, ni à une réminiscence de tradition druidique.
Si le directoire demande aujourd'hui, avec insistance, d'articuler la liturgie et la piété populaire, dans un rapport fructueux, c'est en raison d'une rupture apparue au cours de l'histoire.
Née de la liturgie juive, la liturgie chrétienne s'est inscrite dans ce que vivaient les communautés juives à la synagogue, et sa continuité dans la vie domestique. Les Actes des Apôtres en
témoignent, soulignant l'importance de la prière communautaire, de l'enseignement des prophètes et du chant des psaumes, et du partage dans les maisons. Et tout comme les familles juives, dans le
prolongement de la prière communautaire à la synagogue, vivaient la piété des bénédictions et invocations dans le cercle familial, les chrétiens prolongeaient naturellement au quotidien les
formes de prières en privé, nourries des prières formulées dans l'assemblée dominicale.
La rupture s'est effectuée au moment où la liturgie officielle est devenue hermétique dans son langage, devenant en quelque sorte, l'affaire d'une élite, les clercs, maîtrisant notamment la
langue latine.
Lorsque le peuple chrétien ne pourra plus "entendre proclamer, chacun dans sa langue maternelle, les merveilles de Dieu," selon le récit de la Pentecôte, il devra substituer à cette source qu'est
la liturgie, toutes les formes de dévotions déconnectées de l'enseignement des Ecritures et de la prière de l'assemblée, y compris au cœur même de la liturgie officielle !
Nous avons des aménagements de l'espace, dans les églises de pèlerinage, où les chanoines chantent l'office, protégés du brouhaha de la pérégrination des pèlerins, par de hautes cloisons de bois, comme ici à Saint-Bertrand-de-Comminges (31)
"L'adoption de formes et de structures d’origine populaire peut être considérée en quelque sorte comme une revanche inconsciente contre une Liturgie qui, à divers titres, s’est éloignée du peuple, tout en devenant pour beaucoup incompréhensible.
(DIRECTOIRE SUR LA PIÉTÉ POPULAIRE ET LA LITURGIE §30)
Tout le travail effectué par le Mouvement Liturgique, dans lequel s'inscrivait le pape Saint Pie X, n'en déplaise aux plus traditionalistes qui se réclament de son nom, a été de rendre à la liturgie sa place comme éducatrice de la vraie piété, du culte rendu à Dieu et à son Christ.
Le Concile de Trente, par les réformes promulguées et mises en oeuvre, précèdera et sera à l'origine de ce mouvement liturgique. Par l'aménagements des lieux, tel que la suppression
des jubés et chancels, afin de permettre, au moins une participation visuelle à la liturgie de l'Eglise, par l'insistance sur les sacrements et notamment la nécessité de communier au moins une
fois l'an, ce concile remettait en place une hiérarchie de dépendance entre liturgie et piété.
Les réformes porteront même à élaguer, dans la liturgie, tout ce qui pouvait être perçu comme compromission avec les héritages païens, ou tout ce qui pouvait paraître comme exagération de la
piété, au détriment du seul culte à rendre au Christ. C'est ainsi que le pape Pie V supprime du calendrier liturgique la fête de Sainte Anne, perçue comme une excroissance du culte à la Vierge
Marie déjà trop important !
La tentation a été et demeure de traiter avec mépris les formes de piété populaire... Cependant, le respect pour ces formes de prière, dans leur aspect privé, inscrites dans une culture, dans le plus intime de chacun, demandent à ce qu'elles soient sans cesse irriguées de la sève de l'Evangile.
Le directoire rappelle ceci :
La primauté de la Liturgie sur les autres formes de prières chrétiennes, qui sont possibles et légitimes, doit trouver un écho dans la conscience des fidèles: si les sacrements sont indispensables pour pouvoir vivre unis au Christ, les diverses formes de la piété populaire ont, en revanche, un caractère facultatif. On peut citer, à titre d’illustration particulièrement importante et vénérable, le précepte de la participation à la Messe dominicale; de leur côté, les pieux exercices, qui, pourtant, peuvent être recommandés et répandus parmi les fidèles d’une manière habituelle, ne font jamais l’objet d’une obligation, même si certaines communautés ou des fidèles, à titre personnel, ont toujours la possibilité de considérer qu’ils ont un caractère impératif. (§11)
Si la liturgie est définie comme "source et sommet" de l'évangélisation, elle ne peut à elle seule englober toute l'activité de sanctification, mission de tous les baptisés. Entre
la source et le sommet, il y a bien des chemins, où chacun avance à son rythme, selon les charismes qui sont les siens.
Les pèlerinages, les troménies, les ouvertures de chapelles et les divers groupes de prière, les crèches de Noël dans nos églises ou maisons, sont autant de chances, de propositions et
d'invitations à louer Dieu le Père, le Christ, dans l'Esprit, à invoquer la Vierge Marie et les saints, pour peu que ces formes diverses de piété nous proposent une évocation de l’Evangile. C'est
ainsi que François d'Assise a popularisé les crèches de Noël et les chemins de Croix.
Tel Paul Claudel, entrant en touriste dans la cathédrale de Paris, fut saisi par la grâce au pied de la statue de Notre Dame, tout homme peut trouver la chance de percevoir le mystère de Dieu, en ces espaces ouverts, habités par la prière, la beauté, la disponibilité et la gratuité.
Le Pape François prend son bâton de pèlerin à l'occasion d'un colloque sur la piété populaire en Méditerranée, parce qu'il sent bien, dans sa fibre de pasteur, la chance pour l'Eglise d'avoir dans ses trésors, cette porte ouverte, accueillante à ceux qui sont "à la marge" mais aussi "à la porte".
Dans son encyclique récente consacrée au culte du Sacré Coeur "Dilexit Nos", il a cette requête contre ceux qui méprisent ces élans de piété :
"Je demande donc que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et j’invite chacun
à se demander s’il n’y a pas davantage de rationalité, de vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour qui cherche à consoler le Seigneur que dans les froids, distants,
calculés et minuscules actes d’amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus réfléchie, plus cultivée, et plus mature." (§160)
Christian Le Borgne,curé