Dans le sermon sur la montagne, Jésus donne des commandements assez exigeants: « Vous avez appris qu'il a été dit: Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien! moi je vous dis de ne pas riposter au méchant; mais si quelqu'un te giffle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. Et si quelqu'un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos! » (Matthieu 5, 38-42).
Pourquoi la joue droite ?
Dans le monde antique, recevoir une gifle était une humiliation grave. Surtout lorsqu'elle était donnée du revers de la main – ce que sous-entend la précision de cette phrase « Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre » (Matthieu 5,39), puisque la seule façon pour un droitier d'atteindre la joue droite d'une personne en face de lui est de la frapper du revers de la main. La loi juive prescrivait une amende de 200 zuzims (un zuzim était une pièce de 3,7 grammes d'argent) en cas de gifle avec la paume, et de 400 zuzims en cas de soufflet d'un revers de main. Outre une sanction monétaire, l'offensé pouvait aussi réclamer l'application de la « loi du talion » (du latin talis: « offense, réparation »), comme le laisse supposer le début de l'enseignement de Jésus cité plus haut: « Vous avez appris qu'il a été dit: Œil pour œil, et dent pour dent. »
Présenter l'autre joue, n'est-ce pas faire aveu de faiblesse ?
En invitant à présenter l'autre joue à l'agresseur, « Jésus n'appelle pas à une acceptation volontaire et résignée des mauvais coups de la vie », écrit Michel Wackenheim, prêtre du diocèse de Strasbourg. D'ailleurs, devant ses juges, il sait se défendre par la parole: « Si j'ai mal parlé, montre ce que j'ai dit de mal? Mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? » (Jean 18,23.) Ce verset n'incite donc ni à démissionner – ce qui serait en totale contradiction avec les nombreux appels évangéliques à s'élever contre les injustices –, ni à s'enorgueillir de sa force d'âme. Jésus veut amener ses disciples à sortir de l'esprit légaliste pour accéder à une autre attitude: celle d'un cœur humble et patient qui seul peut placer le violent face à sa conscience et le désarmer.
Au moment de son arrestation au mont des Oliviers, Jésus affirme: « Tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée » (Matthieu 26, 52)). Pour signifier que celui qui entre dans la logique de son adversaire en le combattant avec les armes périssables de la haine et de la violence – même s'il s'agit de défendre le Christ – ne peut que perdre l'estime de lui-même et la liberté, tandis que s'il combat avec les armes spirituelles de la prière et du pardon, il grandit dans l'amour qui mène à Dieu.
Il ne s'agit donc pas seulement de ne pas répliquer – attitude plutôt passive –, mais aussi de « tendre l'autre joue », donc de faire quelque chose – attitude active. « Jésus ne demande pas à ses disciples de se conduire en pleutres, mais d'être, en paroles comme en actes, des bâtisseurs de paix », poursuit le P. Wackenheim. En effet, dans les versets suivants, le Christ invite à réagir au mal par une surabondance de bien et de bénédiction: « Si quelqu'un veut te poursuivre en justice, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos! » Il s'agit donc de renoncer à ses droits – à obtenir justice – pour donner plus, pour « par-donner ». C'est l'ultime témoignage du Christ: sur la croix, victime innocente, il implore le pardon divin pour ses bourreaux: « Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu'ils font » (Luc 23, 34).
LESEGRETAIN Claire, La Croix, le 12/04/2014