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PARDON

Arcabas - Reconciliation

Pardonner 70 fois 7 fois, selon l'évangile de Matthieu, ou 77 fois 7 fois, selon certains manuscrits, ce n'est pas un travail de calcul mental. Il conviendrait de traduire en "français courant"  trente six mille fois mille et une fois !

C'est à dire, pardonner sans compter...

 

Il y a de cela une dizaine d’année, Ingrid Betancourt, assurait une « causerie » dans le cadre de la présentation de son dernier livre, dans une grande librairie bien connue du centre ville de Brest. Et bien sur, l’essentiel de ses propos portait moins sur l’évènement littéraire que sur la relecture de son expérience d’otage des FARC dans la jungle colombienne. J’ai retenu de cette rencontre son approche du pardon, sur la nécessité de pardonner. De pardonner à ses ravisseurs, dit elle, c’est une nécessité, afin de tourner la page d’une histoire douloureuse, de cautériser une blessure. Mais dit-elle, si c’est difficile de pardonner, on pardonne facilement à ceux qui sont loin, on pardonne difficilement à ceux qui sont proches. Pardonner à quelqu’un qui vous a durablement blessé, mais que vous ne reverrez plus, c’est un acte libérateur. Pardonner les multiples agressions de la vie quotidienne avec ceux de notre famille, nos proches, c’est autrement difficile, travail toujours à reprendre, et cependant indispensable pour continuer à vivre ensemble.

Bien évidemment cette femme est chrétienne, et le confesse.  La notion du pardon est constitutive et caractéristique de la foi en Jésus Christ. Pas de prière chez les chrétiens, qui réclame la mort de l'adversaire, mais cette prière reçue du Christ lui même : "Pardonne nous nos offenses, comme nous pardonnons nous mêmes à ceux qui nous ont offensés".

 

Nous sommes fiers de la tradition de nos "Pardons", qui nous ont manqué cet été. Saurons nous, quand les restrictions imposées seront levées, redécouvrir ce qu'ils sont sensés porter : le pardon accordé par Dieu, mais aussi le pardon à s'accorder mutuellement entre communautés voisines et rivales, manifesté dans ce beau geste du "baiser des bannières", et bien sur le pardon au sein des relations familières, dans la joie du pardon avec ses rites et ses agapes. Si telle n'est pas l'intention de le vivre ainsi, les pardons sont appelés à disparaître. Plus que leur disparition, ce qui serait davantage dramatique, c'est que cela manifesterait que nous ne serions pas capables de vivre en témoins du Christ qui nous convoque au pardon.

 


On pourrait dire que notre difficulté à aller au delà des conflits et des heurts, et plus encore notre difficulté à pardonner, est significative de notre difficulté à être tout simplement des disciples du Christ. Non pas oublier, faire "comme-si" le mal n'avait pas été commis, mais oser espérer un avenir autre qu'enfermé dans une blessure pour toujours irrémédiable. Ce n'est pas rien que d'associer dans le même article du Credo "je crois en la communion des saints, en la rémission des péchés, en la résurrection de la chair, en la vie éternelle"... Pardon et rémission des péchés, accordés et reçus une fois pour toute au jour du baptême, seront pleinement réalisés au jour de la venue de celui qui est source du pardon.


Nous allons encore le célébrer au cours des baptêmes de dimanche prochain. On n'a pas conscience du baptême pour le pardon des péchés lorsque l'on présente un nouveau né sur la fontaine baptismale ; mais lorsque l'on accueille un adulte, avec son histoire singulière, qui a vécu les joies et les échecs, et aussi les conflits de l'existence, et qui a découvert que l'amour de Dieu l'emporte sur toutes les blessures, on découvre avec lui cette force du baptême qui fait de nous des enfants de Dieu en Jésus Christ, appelés à vivre en fraternité nouvelle dans le souffle de son Esprit.

Pierre pose à Jésus la question : "Combien de fois me faut-il pardonner ?" La réponse du Christ, il ne l'a comprendra qu'au petit matin, sur le rivage du lac de Tibériade, lorsque Jésus Ressuscité lui posera par trois fois la question "M'aimes tu ?". Parce qu'il a découvert ce que signifiait être pardonné, à quel point Jésus était allé pour manifester et accorder le pardon, il devient capable, à son tour, d'être témoin et acteur de ce pardon. "Convertissez vous ; que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit. Car c'est à vous qu'est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu'à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur les appellera." (Ac 2,39)

 


Christian Le Borgne, curé